Adaptation d'un roman de Jean Redon paru dans la collection Angoisse des éditions Fleuve Noir , assurée par l'auteur lui-même, Boileau-Narcejac et un Claude Sautet encore "en formation"... C'est déjà la classe. Georges Franju, quant à lui, en était alors à son deuxième long métrage après La Tête contre les Murs et une petite quinzaine de courts et documentaires lui ayant déjà permis de travailler ce si reconnaissable style descriptif un peu aride agrémenté de touches poétiques.


Dans cette lignée, Les Yeux sans Visage s'engagera sur le terrain de l'épouvante réaliste souvent sèche, parfois plus imagée, voire graphique. D'ailleurs, Les Yeux sans Visage c'est avant tout un symbole, cet emblématique masque cachant la face détruite de Christiane, fille du Dr Génessier qui tentera de lui rendre sa beauté en lui greffant le visage de jeunes femmes sacrifiées, qui inspirera largement celui de Mr Sardonicus un an plus tard et surtout celui de Michael Myers dans le Halloween de John Carpenter en 1978. Car oui, Franju signe ici une des rares références françaises du cinéma d'horreur/épouvante international. En 1960, à une époque où ce genre prospérait essentiellement en Grande-Bretagne, son œuvre passa bien moins inaperçue à l'étranger qu'en France. Toutefois, sans réelle comparaison avec les productions gothiques de la Hammer notamment, le récit ne trahit jamais ici une structure policière parfaitement rationnelle, reposant sur une série de meurtres à élucider par une police tout à fait conventionnelle, et aime même à se justifier à l'occasion par un lexique scientifique semblant avoir été étudié de près.

En somme, rien en rapport avec le fantastique n'est à attendre dans cette histoire de savant fou, une certaine esthétique de l'horreur n'étant employée avec rigueur que pour étayer la froideur de ce drame cruel, monstrueux. Un cimetière embrumé, une grande demeure isolée et son immense parc aux arbres nus, les aboiements menaçants de chiens encagés, cette salle d'opération clandestine aussi glaciale qu'angoissante. Toutefois, comme une lumière perdue dans les ténèbres, cette imagerie morbide saura trouver son contrepoint dans l'angélisme de Christiane. Franju en fait la figure de la victime innocente de l'amour terrifiant d'un père aussi persécuteur que protecteur ; au chagrin incurable, sincère mais destructeur. Deux représentations s'opposent alors : face aux chiens en colère du père, les colombes accompagnant le portrait de Christiane en ouverture du film porteront sa conclusion vers un symbolisme d'un lyrisme inattendu.



Sachenka
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le 29 oct. 2024

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