Un des films français les plus marquants, pour ma part en tout cas. Pas nécessairement des meilleurs ou des plus réussis, mais marquants. Almodovar s'en indiscutablement inspiré pour son film La piel que habito (scénario, DA et mise en scène). Personnellement, il n'a pas réussi à dépasser l'œuvre originale (elle-même tirée d'un livre).
J'ai beaucoup aimé le film bien qu'il soit très dérangeant (mais c'est voulu), j'ai néanmoins quelques réserves sur deux ou trois points (attention quelques spoilers):
- le film est beau tout simplement, des plans très beaux mêmes, une photographie soignée, un travail sur le noir et le blanc qui nous transporte dans le film, un charme qui en émane
- les scènes dérangeantes (celles de l'opération surtout, puis celle du cimetière) sont significatives des films français de l'époque (ça m'a fait pensé à la séquence du film Le trou quand ils creusent) : tout est filmé en temps réel. On vit l'instant avec eux sans coupures, sans hors-champ. Alors oui c'est dérangeant. On est mal à l'aise. Mais ce n'est pas dans l'excès, du gore pour du gore, on assiste juste à l'opération, ça se veut être une totale immersion dans la réalité de l'histoire. Et puis dans l'horreur de ce qui est en train de se passer au delà de l'opération elle-même. Les effets spéciaux fonctionnent très bien, c'est le moins que l'on puisse dire (je n'ai jamais assisté à une ablation de tissu donc difficile de savoir si c'est réaliste ou pas, mais ça fonctionne néanmoins, on y croit).
- le jeu d'acteur de Pierre Brasseur et Alida Valli : génial ! Il compense un peu celui des jeunes actrices beaucoup plus approximatif.
- les thèmes musicaux très réussis : il y en a deux - celui du repérage et de la filature, et celui du personnage de Christiane qui a un effet un peu ritournelle. Très énigmatique et poétique.
- D'ailleurs la poésie habite tout le film surtout quand on se concentre sur le personnage de Christiane (l'environnement, les costumes, le tableau avec les hirondelles qui renverra à la scène finale). Et la symbolique est très travaillé dans le film au point que ça en devient un peu forcé par moment.
Moi j'ai eu un problème avec le développement des personnages et la fin.
• Difficile d'avoir de l'empathie pour le Dr Génessier même si celui-ci exprime des scrupules sur ses agissements (il le dit avec une telle froideur en plus et reste parfaitement indifférent à la détresse du père de Simone au début du film, la fille qui l'a lui même exécuté). Le film reste très ambigu sur ses motivations : il va aussi loin par amour pour sa fille? par culpabilité? par vanité? Un peu tout ça à la fois sans doute. A la fin, il se retrouve condamné par ses propres sujets d'expérimentations : sa filles et ses chiens. Le bourreau devient victime de ses victimes... et c'est là que j'ai un problème.
• Christiane est-elle une victime? D'accord elle est retenue dans sa demeure, son père a tout fait pour qu'elle survive à son accident et s'acharne à lui redonner un visage tandis qu'elle ne songe qu'à en finir. Louise a beau être très maternelle avec elle, on le voit au début du film quand elle la recoiffe, elle est un peu une poupée entre leurs mains (du reste, paradoxalement, ce côté maternel chez Louise va lui permettre de conduire les jeunes filles à la mort via un procédé aussi rôdé que répugnant).
Cependant, j'ai du mal à voir Christiane comme une victime puisque pas une seule fois dans le film elle n'exprime le moindre remords pour les jeunes filles sacrifiées à son profit. Elle pleure sur elle, sur ces opérations douloureuse et ses rejets de greffes qui l'amènent de désillusions en désillusions, la déception de rester couper du monde, de ne plus se regarder, ça l'éprouve, ça l'abime... Mais quand elle pense enfin pouvoir garder son nouveau visage, les réelles victimes de son père, elle ne s'en soucie guère.
Je crois que son personnage aurait gagné à être un tantinet plus développé parce que pour le coup, on ne comprend pas quelles sont ses motivations à elle : être libre? en finir? avoir un nouveau visage? retrouver son fiancé qu'elle appelle au téléphone en cachette? Et le problème c'est que ça rend la fin un peu inconsistante. Les évènements s'enchainent on ne comprend pas trop ce qu'il se passe. Oui c'est une jolie fin mais comme je disais plus haut, c'est un peu forcé.
• Autres éléments de réalisation assez faiblards puisqu'ils qui ne sont là que pour servir le scénario :
- les policiers pas très futés
- lors de la dernière séquence, le fait que Christiane ne soit pas anesthésiée et allongée sur son lit quand Paulette est sur le point d'être charcutée (sachant que le greffon est implanté à l'instant comme se fut le cas avec Edna).
Ce film est un conte contemporain, mêlant la cruauté à la douceur, le réalisme froid au rêve. On retrouve les codes des contes fantastiques. Et ça fonctionne! C'est un très bon film et un film à voir sans aucun doute, à quelques détails près il aurait été juste meilleur.