Il y a un poncif du cinéma ces dix dernières années qui veut qu'un film tourné en pleine nature (et qui plus est un film de jungle) soit contemplatif. Ca a peut-être débuté avec Blissfully Yours, puis ça s'est répandu absolument partout, si bien qu'il ne peut plus y avoir une excursion en forêt ou même une promenade dans un parc sans qu'à un moment on s'arrête sur la lumière qui passe à travers les branches d'un arbre. Eh bien L'étreinte du serpent échappe totalement à cela. Chaque plan fait récit, et c'est là sa grande force, car il raconte ainsi l'histoire des hommes et pas celle d'une transcendance quelconque ou d'un bourgeon. C'est un mysticisme terrien qui parcourt le film, c'est-à-dire qu'il s'agit avant tout, comme toute la grande littérature mystique, d'un récit d'initiation. Aussi les racines de L'étreinte du serpent sont-elles moins à chercher du côté d'Apichatpong Weerasethakul que de celui de Werner Herzog (et encore moins, donc, du côté de Wenders ou d'Antonioni, parce que finalement le cinéma d'aujourd'hui est totalement agrippé à ces gens qui s'ennuient sur les aires d'autoroute, à ces visages qui se reflètent dans des vitres sales, etc...).


Si le film est formellement très réussi (j'avais tout de même un doute au début sur l'usage du blanc dans le noir et blanc : pourquoi est-ce si blanc ? qu'est-ce que ce blanc surnuméraire essaie de me raconter ? mais c'est déjà tellement beau qu'on puisse se poser ce genre de questions au cinéma que finalement j'ai laissé tomber mes doutes et j'ai accepté ce qui venait), ce n'est pas sa préoccupation principale. D'abord, donc, il y a le récit. Et c'est un récit complexe, enchâssé, racontant un même voyage à deux époques différentes avec un même guide. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve : la formule est présocratique, elle semble aussi amazonienne. A deux reprises, deux Blancs vont demander à un chamane de les conduire jusqu'à la plante appelée yakruna, le premier parce qu'il est malade et pense que cette plante va le guérir, le second parce qu'il a lu les travaux de son prédécesseur et veut authentifier ses écrits. Entretemps, le chamane a changé, la jungle aussi... Le film repose ainsi sur cette grande interrogation des savoirs perdus ; et le cinéma vient se loger là, tentant de poser des images sur l'inconnu. Images d'une relation (le Chamane et le Blanc, les enjeux politiques sous-jacents, tout cela est formidablement bien montré, on pense aux écrits de Castaneda), et images d'un monde (le couvent qu'on visite à deux reprises, à deux moments de sa dégénérescence, n'est pas sans évoquer ce qu'on peut voir de Daesh ces derniers temps). Si, à la toute fin, le récit est abandonné en faveur du "trip", le film ne s'abandonne pas pour autant au consensus contemplatif, mais opte plutôt pour une forme de psychédélisme bricolé, d'abord majestueux puis carrément délirant.

Multipla_Zürn
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le 30 déc. 2015

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