Kinuyo Tanaka est une star du cinéma nippon, dont le nom fait partie des distributions de plus de 200 films, ces derniers étalés sur plus de 50 ans de carrière. En outre, la comédienne a été dirigée par les plus grands, à l'instar de Yasujiro Ozu, de Mikio Naruse ou encore de Kenji Mizoguchi. Oui, c'est un sacré putain de CV.
Mais comme si cela ne suffisait pas, on peut y ajouter aussi dessus la catégorie "cinéaste" puisque la Madame a réalisé six œuvres cinématographiques, devenant de facto la deuxième femme de l'histoire du septième art japonais à endosser ce poste.
Bref, sur un scénario écrit par Keisuke Kinoshita (tiens, encore un grand qui a eu l'occasion de la diriger aussi !), adapté d'un roman de Fumio Niwa, Lettre d'amour est le baptême du feu de Tanaka derrière la caméra.
Des débuts plus qu'honorables avec une histoire n'étant pas sans rappeler Une poule dans le vent d'Ozu (avec en tête d'affiche, une certaine Kinuyo Tanaka !), sorti cinq ans auparavant. Bon, alors, la guerre et l'après-guerre n'ont pas été des périodes idylliques pour la population du pays du soleil levant (Un merveilleux dimanche d'Akira Kurosawa et le cauchemardesque Nuages flottants de Mikio Naruse le montrent aussi !). En ce qui concerne certains membres du sexe féminin, pour pouvoir bouffer et se loger, elles ont eu recours à la prostitution ainsi qu'à des escroqueries en tout genre (ici des femmes envoient des lettres à des GI pour essayer de leur soutirer un max de pognon !).
Évidemment, un nombre non négligeable d'hommes sont offensés que dans l'objectif de ne pas mourir des femmes se soient abaissées à cela, méritant la pire des opprobres. On est en plein dedans avec la tête à claques de protagoniste qui, au lieu de profiter de la chance inespérée qu'il a de retrouver l'objet de sa flamme pour enfin revivre pleinement, s'acharne à ruiner la possibilité de bonheur de sa dulcinée (par la même occasion, la sienne propre !) au nom d'une morale bien phallocrate.
Qu'est-ce que j'ai eu envie de lui foutre des taloches, même s'il est animé par des sentiments sans cesse contradictoires. En effet, son comportement traduit un déchirement psychologique entre sa manière sociétale de voir la situation et la sincérité puissante de son amour, l'une exacerbant continuellement l'autre et inversement.
Et merci au personnage du meilleur pote de le faire à ma place. Je ne suis pas un adepte de la violence, mais, là, la correction physique qu'il lui inflige pour lui remettre les idées bien dans la caboche est entièrement méritée.
Si les vingt premières minutes sont trop explicatives, en conséquence trop bavardes (Show, don't tell !), l'ensemble finit par trouver son rythme de croisière. Il prend de temps en temps le parti de s'écarter un peu de l'intrigue principale pour creuser les caractères secondaires. Je fais surtout référence au bienveillant jeune frère de notre Calimero et tout ce qui tourne autour de sa vie (ouverture d'un stand de nouveautés en livres et magazines qui est un succès, ses rapports avec des femmes pétillantes !). Cela insuffle un aspect plus vivant ainsi qu'un soupçon de légèreté (ce qui n'est pas en trop ici vu la noirceur du reste !) au tableau.
Et Tanaka se permet aussi quelques purs instants d'inspiration visuelle. Je pense notamment à la rame de métro s'éloignant (la caméra restant à l'intérieur de celle-ci !) alors que nos amants se sont enfin retrouvés après plusieurs années de séparation, tous les deux restés à quai, suivi d'un enchaînement direct introduisant une série de flashbacks, d'abord heureux (l’insouciance de l'enfance !) puis malheureux (la cruauté de l'âge adulte dans une société et une époque où une femme ne peut guère défendre son opinion en termes de mariage !). Ou encore au jeune frère bienveillant, parapluie à la main, qui rejoint en traversant un pont la dulcinée de Calimero, parapluie à la main, qu'il voit par hasard sur l'autre rive de la rivière qu'il longe, allant dans le sens inverse.
Ce sont peut-être des détails de mise en scène sans importance, qui ne sont pas essentiels. Il n'empêche, c'est ce genre de petites choses ajoutées qui contribuent à rendre des scènes plus mémorables, plus vraies, à plus imprimer l'œil.
Bon, ben, c'est plus que prometteur pour la suite. Kinuyo Tanaka a eu raison de se lancer.