Nicolas Mathieu est un écrivain que j’apprécie, je le suis depuis ses débuts et j’ai lu Leurs enfants après eux avant qu’il obtienne le Prix Goncourt, une récompense largement méritée. Passionné de cinéma, c’est un auteur qui reste lucide sur les éventuelles adaptations de ses romans. Dans un entretien récent, il a dit quelque chose de très juste : « Une adaptation c’est une trahison ».
Les trahisons sur grand écran il y en a eu, mais les plus belles sont toujours réalisées par de grands metteurs en scène. Stephen King adapté par Stanley Kubrick (Shining), James Jones adapté par Terrence Malick (La ligne rouge). Grands bouquins, grands films très différents de l’œuvre originale. Quand ce que l’on voit sur l’écran surpasse ce qu’on a lu et aimé, quand le génie ou le savoir-faire du réalisateur sont des valeurs ajoutées, on applaudit et on a envie de dire : « Qui aime bien trahit bien ».
Un prix Nobel, un prix Pulitzer ou un prix Goncourt ça se respecte, on l’adapte comme il faut, en y mettant ses tripes, sinon on ne le fait pas. Les frères Boukherma se sont frottés au Prix Goncourt 2018 et, de mon point de vue, se sont bien plantés. Se taper l’adaptation et la mise en scène était un challenge beaucoup trop costaud pour leurs jeunes épaules.
On imagine l’adaptation et la trahison qu’aurait pu nous offrir un Cedric Klapisch, un Jacques Audiard, un Arnaud Desplechin, un Cedric Jimenez.
Le film n’est pas mauvais, il contient quelques belles scènes un peu plus « travaillées » que les autres, mais dans l’ensemble j’ai visionné un ratage, un ratage honorable, certes, avec des qualités visuelles, certes, mais un ratage quand même. La technique ne sauve pas tout, il faut du sentiment, il faut du cœur, un long travelling circulaire autour d’un couple qui s’embrasse, façon Vertigo, ne fait pas le printemps (pour Marnie). On notera de beaux plans du lac, un peu trop beaux par rapport au contexte social qui est totalement zappé, images léchées donnant presque envie de vivre dans les Vosges alors que le roman est plutôt dissuasif.
Le film contient aussi des scènes ratées, celle avec Quenard (voir plus bas) et surtout deux scènes de sexe horriblement filmées alors que dans le livre elles étaient d’une force et d’une justesse étonnantes.
Reste la musique, oui bien sûr, à condition qu’elle ne serve pas à remplir les cases vides. La seule chanson qui m’a un peu touché est Que je t’aime, tube de Johnny de 1969, sans doute un souvenir de vacances en camping où le refrain, sortant des transistors, résonnait sous les auvents encombrés des familles nombreuses. Instant nostalgique de courte durée.
Le problème vient du manque de nuances dans la caractérisation des personnages, point fort du roman de Nicolas Mathieu. Un manque de nuances qui génère un manque d’émotion, c’est là que le bât blesse. Une histoire d’amour sans émotion c’est une soupe sans sel. Anthony, le héros, maîtrise à peine le langage articulé, les neurones grillés par le THC. L’interprétation de Paul Kircher n’est pas en cause, mais pourquoi lui faire jouer un véritable abruti avec trois lignes de dialogue réparties sur deux heures de film ? Le manque de subtilité des frères Boukherma dans la description du mal-être des adolescents est rédhibitoire. J’ai eu deux ados à la maison dans les années 90 et nous arrivions à discuter sans utiliser de grognements ni d’onomatopées.
Les parents boivent et fument non-stop, là aussi le portrait est taillé à la hache, les acteurs s’en sortent bien car ils sont talentueux, mention à Ludivine Sagnier, toujours très juste, Gilles Lellouche a tendance à en faire des caisses. Les seconds rôles sont un peu effacés, dommage, cependant Louis Memmi est très bon. Raphael Quenard nous gratifie d’une scène malaisante et complètement inutile où l’absence de direction d’acteur se fait sentir. L’Isérois est en roue libre. Un acteur du calibre de Quenard doit être dirigé sinon c’est n’importe quoi, c’est le De Niro du pauvre.
Voilà, je n’y suis pas allé avec le dos de la cuillère, mais la déception est là. Un grand roman ne fait pas forcément un grand film, ça se confirme.