Y'a des fois où se laisser surprendre tout en mettant de côté ses aprioris est salvateur pour réellement apprécier une œuvre.
Pour te la faire courte, disons que me présenter au départ un film sur le Liban, ça me la fait pas franchement lever, pour sûr. Et puis bon, les acteurs déboulent dans la fosse ; on nous présente ce gars, Tony, cet homme que viscéralement tu vas tenir en basse estime. Colérique et bourré jusqu'à la couenne de préjugés envers le peuple Palestinien, notre héros va se retrouver à la suite d'une broutille (en l'occurrence une gouttière réparée sans son accord) au milieu de ce qui va rapidement devenir une guerre ouverte.
S'oppose alors à lui, Yasser, un contremaître d'origine Palestinienne ayant émigré avec tant d'autres au Liban. Cela démarre par une simple insulte, un tout petit rien pour qui a jamais pris le métro. Yasser traite de sale con Tony pour avoir défoncé la nouvelle gouttière que le contremaître venait de poser chez ce mécano de Tony. Aucune excuse ne veut poindre, tout s'envenime et les paroles fusent comme une gerbe nauséabonde dans la bouche de Tony : "Ariel Sharon aurait dû vous exterminer".
Le jerrican est renversé, la mèche allumée, tout est prêt à exploser entre deux camps persuadés l'un comme l'autre de détenir la vérité et de mériter la justice. Va s'en suivre, d'une certaine manière, le procès du siècle, opposant Yasser à Tony. Si l'histoire débute par une simple gouttière, elle ne sera que le prétexte choisi afin de réveiller l'ensemble des problèmes de cette société, l'ensemble des conflits à jamais irrésolus comme tout à fait sibyllins.
Le gros point fort de ce film est de parvenir à te faire passer d'un état de perplexité à celui de fascination, le montage crescendo y étant pour beaucoup. On tressaille, s'étonne et s'irrite sur un conflit prenant de l'ampleur, de l'ampleur, encore plus d'ampleur jusqu'à ne plus ressembler à rien qui puisse être sauvé.
Lorsque le procès débute, tout est alors encore assez timide, chacun se situe dans sa sphère propre à désirer pour soi la reconnaissance d'avoir raison. Et pourtant on sent déjà en sous-texte à quel point la situation est tendue. Inexorablement, lorsque avocats partiaux, presse et politiques s'en mêlent, le débat est transformé. En effet, il ne va plus s'agir de savoir qui a raison, qui a été le plus en tort ou encore qui peut se targuer d'être victime de l'autre, non, il va s'agir de s'enfermer dans le communautarisme tout en laissant libre court à la violence, aussi bien physique que morale.
Par ailleurs on peut noter une certaine exigence dans l'écriture, rendant chacun des protagonistes humains, tout en nuances en somme. Ils sont des portraits, des idées véhiculées par des corps pensant. Ils incarnent différentes générations avec divers combats (politiques, idéalistes), tous ayant mûri un fort sentiment envers l'autre, envers l'étranger vécu comme étrangeté. Et lorsque chaque camp peut laisser s'échapper des monstres de haine, la réconciliation devient impossible.
Et c'est bien là que va se situer la grande crainte autour de pareil récit : comment parvenir à une réconciliation là où le brasier de la colère n'a su laisser qu'un goût de cendres dans la bouche du Moyen-Orient ? Et bien peut être par d'infimes détails qu'on croirait insignifiants. La boucle s'achève et l'espoir doit exister.
L'insulte a ce côté formidable qu'il n'est pas évident de retrouver dans chaque œuvre. Ici, la volonté et le désir de mettre en lumière les causes, conséquences et enjeux de pareille poudrière sont véritablement présents devant comme derrière la caméra de Ziad Doueiri. Et nul ne peut alors rester insensible lorsqu'un créateur au talent certain offre toute son âme ainsi que ses expériences à son spectateur.
Le cinéma du partage, plus beau cinéma du monde.