Locke, c'est le portrait d'un homme exemplaire, qui a construit sa vie à l'image des buildings qu'il érige : avec patience, rigueur, abnégation, et un sens aigu du devoir. Une construction que l'on devine lente, ardue, et qui s'est faite sur des fondations branlantes. Mais, parce que Locke n'est qu'un homme, et que la fissure n'était pas loin, le faux-pas le guette. Et pour une petite erreur, une seule erreur, il va tout perdre. Si le film nous parle de cet homme dans sa déchéance, il s'emploie à nous montrer cette déchéance, depuis l'habitacle d'une BMW, en moins d'1h30.


L'exercice du huis clos est périlleux. A plus forte raison lorsqu'il n'est porté, physiquement, que par un seul acteur. Appuyé vocalement par quelques partenaires téléphoniques, Tom Hardy est seul, absolument seul à l'écran, et réalise la prouesse de captiver, derrière un pare-brise, pendant 80 minutes. Un véritable tour de force, en même temps qu'il distille une palette d'émotions ahurissante, à même de générer de l'empathie pour son personnage en chute libre.


Il y a plusieurs éléments de lecture, dans ce film. On pourrait se contenter de le survoler, de dire que c'est l'histoire d'un mec qui conduit (poke Drive), qui passe des appels depuis sa caisse, et basta. Vu comme ça, ça a l'air chiant. Mais ça l'est pas. Parce que tout ce qui se joue entre ce type qui conduit, enrhumé, fatigué, et ses interlocuteurs invisibles, tous sur les dents, en panique ou hystériques, est énorme : une vie entière. Le plus frappant, je crois, c'est l'impression très forte que Locke est en total contrôle de la situation, en mode boy scout ou super-héros, alors qu'il est en train de se réduire en miettes. Le paradoxe est effarant.


La métaphore du "builder", du mec qui construit, qui bétonne tout, est hyper importante également, superbement amalgamée à l'ensemble. De même, le fil rouge du père, fantôme obsédant qui semble tirer les ficelles à l'insu de Locke, induisant les décisions d'un fils ignoré refusant de répéter les mêmes erreurs. Et cette réflexion sur le "monde" qui existe entre "jamais" et "une fois", équivalent à ce qui sépare le Bien du Mal. D'un côté, on a ce personnage très manichéen, en colère, buté et de l'autre, le film tout entier qui nuance à toute force son propos. Et la thématique du choix, terrible, de ses tenants et aboutissants, du courage qu'il demande, de la détermination nécessaire pour faire ce qui est juste, ce qui est vraiment bien, quoi qu'il en coûte...


M'est d'avis qu'on pourrait aisément écrire une thèse sur tout ce que ce court film contient. En disserter d'avantage ici serait spoiler complètement le déroulement de celui-ci. Aussi finirais-je en disant qu'il est juste étourdissant pour peu que l'on s'en laisse imprégner. Et si la mise en scène, limitative, est assez vite répétitive, l'écriture, elle, est un pur bijou. Parfaitement calibrée, avec des personnages, même désincarnés, particulièrement bien soignés. Un exercice de style très réussi, d'avantage dans son fond que dans sa forme, avec un Tom Hardy sensationnel.

AshtrayGirl
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le 14 janv. 2016

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