Nous avions quitté Stanley KUBRICK après le film qu'il désavoua mais qui lui permit cependant de gagner en indépendance vis à vis des studios et des producteurs, Spartacus (1960).
Alors qu'il pourrait en profiter pour réaliser un film à gros budget, il choisit de s'exiler en Europe, plus exactement en Angleterre pour y tourner l'adaptation d'un roman sulfureux, scandaleux dont il avait acquis les droits en 1955, Lolita de Vladimir Nabukov.
Un homme d'âge mûr, le professeur Humbert Humbert, s'éprend de la fille mineure de sa logeuse Lolita. Tandis que le spectateur est invité à poser son jugement forcément négatif sur ce prédateur en proie à ses plus vils instincts, où l'on assiste presque impuissants au piège qu'il fomente pour se rapprocher de l'objet de ses fantasmes, Kubrick prend un malin plaisir à flouter les limites de la décence et de la moralité.
Pour cela il va user d'une excuse souvent donnée par les pédophiles, à savoir le consentement plus ou moins réel de la victime. Loin d'être présentée comme une ingénue pure, Lolita par ses attitudes, ses fréquentations, ses paroles se trouve à cette frontière troublante où la petite fille n'a pas tout à fait disparue, où la femme fatale apparait déjà. Pour reprendre une expression utilisée dans le film, elle connaît "les choses de la vie".
Quand suite à un coup du sort favorable, Humbert parvient à garder auprès de lui celle pour qui il a lâché toute raison, on n'est pas témoin d'une relation où le dominant est celui que l'on croit, Lolita poursuit son double jeu, de victime consentante, l'aidant dans ses scénarios de plus en plus difficiles à justifier.
Là Kubrick nous envoie un premier direct au visage nous montrant l'hypocrisie à la fois de la société, qui se contente de suggérer au "couple" plus de discrétion et à la fois de nous spectateur.
Dans ce film à la fois noir et satirique Kubrick convoque Stefan Sweig et ses questions sur les sentiments interdits, il représente la pédophilie non pas comme une abomination, mais comme une maladie à la complexité difficile à appréhender et donc à juger rationnellement. C'est sans doute sur ce point que le film a choqué, et même si aujourd'hui la censure est différente, je ne suis pas certain qu'une sortie de nos jours lui ferait échapper au scandale.
Alors ce film est il pour autant un plaidoyer en faveur de la pédophilie ? Non, si Kubrick nous renvoie à nos contradictions, il n'en demeure pas moins qu'à aucun moment ce professeur ne nous est présenté comme sympathique, Lolita si elle peut agacer reste une enfant, au physique mature certes et l'on pourra comprendre un certain embarras, mais elle reste une enfant qui finira par vivre selon les principes de son âge. Un troisième personnage interprété par Peter SELLERS viendra à plusieurs reprises rompre l'inéluctable destin des deux protagonistes, défiant quiconque de dire que ce film promeut ce type de comportement.
Bien plus qu'avec le livre, l'antonomase de la Lolita doit au film, désormais la nymphette sera une lolita, cette créature équivoque qui tente par son physique sexuellement mature et trompe par son âge réel.
Kubrick sera désormais le cinéaste du scandale, le cinéaste qui jettera à la face de la société ses paradoxes.
Excitant.