‘L’Ombre de Goya (par Jean-Claude Carrière)’ est un documentaire passionnant sur Francisco de Goya, mettant l’accent sur des aspects relativement méconnus de l’art du maître espagnol, en tout cas pour les non-spécialistes de la peinture comme moi. Le célèbre scénariste y prodigue ses analyses éclairées et ses ressentis face aux toiles et dessins du peintre.
Amoureux des arts et fin connaisseur de Goya, Jean-Claude Carrière nous guide dans son œuvre incomparable. Pour en percer le mystère, il accomplit un dernier voyage en Espagne qui le ramène sur les traces du peintre. Des liens se tissent avec des artistes issus du monde du cinéma, de la littérature et de la musique montrant à quel point l'œuvre de Goya est influente.
Ce que j’ai aimé avant tout, c’est la précision avec laquelle les peintures et desseins sont filmés. La caméra s’approche au plus près des œuvres, coulisse délicatement à l’horizontal et à la verticale pour mettre en exergue les détails des peintures : les visages, les mains, les pieds, les coiffures mais aussi les couleurs, les coups de pinceaux. On s’attarde ainsi sur le ‘Portrait de la duchesse d’Alba en blanc’ : cette dame en robe blanche qui pointe le sol du doigt et son petit chien blanc qui porte le même ruban rouge qu’elle.
Le documentaire de Lopez-Linares a su montrer l’œuvre de Goya dans sa globalité et dans toute sa complexité. Goya était un artiste officiel de la cour espagnole, ayant peint la famille royale et moultes nobles dans un certain classicisme. A côté, il a développé un style plus personnel, avec ses fameuses peintures noires. On découvre, si on ne le savait pas, la grande modernité du style de Goya. Je pense notamment au tableau ‘Deux femmes riant’ dans lequel deux femmes de condition très modeste qui semblent regarder le peintre en se demandant pourquoi il les peint. Il n’est pas étonnant que l’œuvre de Goya plaise autant aux peintres romantiques qu’aux expressionnistes et surréalistes. La fameuse ombre de Goya.
Le film vaut évidemment pour les analyses de Jean-Claude Carrière toujours intéressantes et jamais sentencieuses. Il exprime ses ressentis, se met dans la tête de Goya. Une de ses analyses m’a particulièrement marqué, celle du fameux tableau ‘Tres de Mayo’. Carrière y montre la construction du tableau en trois temps : l’avant (les hommes déjà morts baignant dans leur sang), le pendant (les hommes qui vont mourir) et l’après (les condamnés à mort suivants). Le scénariste relève à juste titre ce mouvement très cinématographique.
Le film brosse un joli portrait en creux du grand scénariste qu’était Carrière. On découvre un homme cultivé, s’intéressant à tous les sujets : au cinéma bien sûr, à la peinture donc et à l’astrophysique entre autres sujets. Il est bien sûr question de Luis Buñuel, l’une de ses collaborations les plus fructueuse au cinéma. Ce qui est particulièrement émouvant est que Carrière réalise son dernier voyage avant son décès en 2021, et il le sait. Ses adieux à Goya sont assez touchants. Il s’adresse au double portrait ‘La Maja nue’ et ‘La Maja vêtue’ et fait ses adieux au peintre.
José Luis Lopez-Linares a la bonne idée de filmer ce documentaire comme un voyage sur les traces et l’ombre de Goya qui n’est pas sans rappeler le documentaire ‘Visages, Villages’ d’Agnès Varda. On se balade dans le village natale du peintre, on visite de magnifiques chapelles, on voit un graveur travailler. Le réalisateur offre à plusieurs intervenants de témoigner de Goya où de Carrière dont l’inénarrable Julian Schnabel qui gueule comme un putois, sans que ce ne soit jamais pesant. Ce documentaire est une pépite à ne pas manquer.