Après un Harmonium un tantinet austère (rien d'étonnant qu';il ait reçu le Prix du jury dans la catégorie Un Certain Regard 2016, à Cannes) et une Infirmière à l'ambition avortée dans sa seconde partie, ainsi qu'un dyptique Suis-moi je te fuis / Fuis-moi je te suis sur lequel j'ai fait l'impasse contre mon gré, Kôji Fukada se devait de procéder à un travail de rachat à mes yeux au dépens de mes derniers coups de coeur de la part de ses confrères (Hirokazu Kore-eda en tête). Le début des saisons Hanabi fut l'occasion de proposer une poignée de productions dépeignant singulièrement un système familial défaillant, soumis aux faux-semblants, et prenant souvent place dans une société post-Covid de surcroît anxiogène.


D'entrée de jeu, Fukada tire magnifiquement partie de cette discrétion vertueuse, si chère au Japon. L'élément déclencheur de l'intrigue n'est prononcé dans aucun synopsis qui serait apte à conforter le spectateur dans un déroulement formaté et conventionnel de l'intrigue. Côté sentiments, en découle une réaction naturelle et réjouissante de notre part, pour peu qu'on aime un tant soit peu être dupé sur ce qu'attend à voir.


Parce que oui, Love Life est un film cru qui ne se prononce pas. Ce n'est pas, à proprement parler, un film à concept, bien que le synopsis donne effectivement le sentiment d'avoir suivi une telle intrigue plus d'une fois et qui ne s'appuierait que sur son concept pour déployer unitairement et sans recours toutes ses ambigüités. Le rapprochement avec Kore-eda allant de soi, d'autant qu'en dépit de certaines fragilités, les précédents films de Fukada pouvaient également être de la partie. Le cinéaste semble davantage se revendiquer comme digne héritier d'Asghar Farhadi, maître du drame familial asiatique côté Moyen-Orient. L'influence transparaît dans cette violence suggestive ambiante, traduite par la longueur de certains plans pouvant virer au malsain, ainsi que des envolées vocales volontiers oppressantes.
À cela, s'ajoute une considération quant aux difficultés qu'impose le dialogue : Park, le père biologique de Keita réapparaissant en plein coeur de la vie des deux jeunes parents protagonistes, est réduit au silence par son statut de sourd-muet. Il pourrait sur-ce faire joliment écho au silence imposé aux principaux intéressés de certains récits judiciaires récents auxquelles on débouche toute impunité. Le silence éloquent qui orne certaines séquences rétracte certaines dialogues en en laissant entendre davantage que ce qui a été dit explicitement. Néanmoins, le film a le courage de résister au procès verbal pour déboucher sur un singulier triangle amoureux.


L'acceptation de la singularité des choses, les relations et le destin en l'occurrence, serait au bout du compte le thème principal de ce film direct, savoureux et bouleversant.


En témoigne, le plan où Taeko, endeuillée, se met en scène à moitié devant le rideau de douche se recueillir dans la baignoire où son fils (adoptif) fut retrouvé sans vie.


Une évocation des relations sentimentales à l'image de la chanson éponyme interprétée par Akiko Yano, véritable Kate Bush nippone, remplie d'approximations âpres à être complétées par tout un chacun quant à l'effet tantôt de proximité, tantôt de distance, provoquée par une telle série noire.

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le 9 juin 2023

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