À l’aune des derniers instants du reconnaissable entre mille Harry Dean Stanton, Lucky, son tout dernier rôle principal, exacerbe sa propre saveur : car sous ses dehors de tranche de (fin de) vie saupoudrée d’une douce ironie, l’unique film de John Carroll Lynch, lui-même brillant second couteau, s’arroge finalement bien plus que le simple récit dramatique qu’il est pourtant bel et bien.
En bref, Lucky ne nous laisse pas indifférent : d’abord curieux, cela va sans dire, au gré des déambulations de ce nonagénaire débrouillard, acteur original d’une routine n’appartenant qu’à lui. Sans coup férir, la première pierre est ainsi posée : nous nous attachons à son profil réservé, ses petites manies et relations, le tout sous l’égide d’un caractère somme tout bien trempé. L’accident, s’il le bouleversera un temps physiquement, aura ensuite des répercussions bien plus profondes, l’intrigue nous ferrant là pour de bon.
Lucky est à ce titre des plus doux-amers, tantôt drôle et émouvant, sans jamais forcer les choses : au détour de nouvelles rencontres, dialogues et débats, l’invariable (que nous devinions poindre) question de la fin de vie s’impose ainsi avec finesse. À raison de plus que l’existence même sera questionnée, comme en témoignera ce poignant discours démontant les mirages normatifs et sociétaux de l’homme, embarquant au passage le spectateur dans sa froide réflexion… mais non dénuée de chaleur en finalité.
À l’instar d’un Président Roosevelt en fuite constante, aperçu ci et là, Lucky n’a également pas l’aridité chronique des récits trop terre-à-terre : comme à rebours du cadre californien (ô combien sec) où il établit ses quartiers, le long-métrage est d’une fraîcheur palpable, autant attenante à la douceur contagieuse qu’il réserve à ses personnages qu’à ses élans contemplatifs, voire carrément onirique dans une rare et précieuse séquence nocturne. Un zeste de métaphysique sans jamais quitter le plancher des vaches et ses cactus hirsutes, et la messe est ainsi dite avec forme et finesse.
Nous sortons de Lucky avec quelque chose en plus, à la fois remués et apaisés, ultime signature témoignant de sa discrète réussite, et nous n’oublierons pas de sitôt le regretté et grandissime Harry Dean Stanton.