Où est le problème ?
Après tout, sur le papier, « Lucky Strike » a l’air de tout faire comme il faut.
Une intrigue qui se veut accrocheuse ; des révélations et des renversements de situation qui finissent par se multiplier ; un certain cynisme dans le ton qui finit par virer vers l’humour noir.
Dit comme ça, le programme a l’air bien ficelé et alléchant.
Et pourtant ce film m’a totalement laissé inerte.
Je l’ai regardé comme j’aurais corrigé une copie.
Certes ce n’est techniquement pas odieux mais ça n’en garde pas moins la fadeur d’un exercice scolaire sans âme.
Alors pourquoi ?
Pourquoi cette sensation me concernant ?
Qu’est-ce qui a manqué à ce « Lucky Strike » pour que je le perçoive ainsi ; comme un enchainement d’artifices sans saveur ?


Souvent me concernant, le manque de saveur est lié à un manque de propos (...Et je parle là dans le cas où la forme tient la route, entendons-nous bien.)
Et quand je parle de propos je ne parle pas forcément de discours hein.
Parce qu’à prendre ce « Lucky Strike », à défaut d’avoir un discours, au moins dispose-t-on d'une morale.


Car au bout du compte, ce film nous montre bien comment ceux qui ont voulu s’accaparer l’argent de manière frauduleuse et sans aucun scrupule ont tous péri, tandis que la gentille louloute qui ne demandait qu’à faire ses études se retrouve récompensée par un coup du sort – un coup chanceux – le fameux « Lucky Strike ». Difficile de faire plus « moral » pour ne pas dire plus moraliste…


Mais une morale fait-elle un propos (d’un point de vue cinématographique j’entends…) ?


Eh bien justement, dans « Lucky Strike », la réponse me semble assez claire : non.
Car que « propose » t-on, cinématographiquement parlant, dans ce film ?
Pendant une bonne heure, on ne dispose que des destins croisés qui peinent à se recouper.
Pire encore, ces destins qu’on nous propose n’ont que peu de relief.
J’entendais d’ailleurs en sortant de la projection un couple échanger leur impression. Tous deux disaient avoir galéré une bonne heure pour reconnaître qui était qui. Et s’ils invoquaient surtout comme principale explication à leur problème un manque de familiarité avec les faciès coréens, moi je pense plutôt que leur problème se trouvait ailleurs. Le vrai problème, c’était que chaque personnage présenté manquait tout simplement de personnalité. Il était un standard assez lisse qui, certes, le rendait aisément identifiable dans sa fonction auprès du spectateur mais qui, en contrepartie, peinait à marquer les esprits.


Car au fond ces personnages peinent à sortir de leurs simples fonctions.
Ils ne sont que des actants unidimensionnels aux enjeux au fond bien réduits : ils veulent l’argent et that’s it. Du coup ils ne disent rien d’eux. On ne projette rien sur eux. Ils ne sont que des pantins qu’on agite au service de l’intrigue…
Et tout ça pendant une bonne heure donc...


Puisqu'en effet, sur la deuxième moitié du film, les arcs commencent enfin à se recroiser et l’intrigue prend enfin du sens. Et à partir de là – et je ne le concède volontiers – « Lucky Strike » peut devenir distrayant, sachant jouer de ces qualités que j’ai déjà citées plus haut : révélations, renversement de situation en pagaille, cynisme, voire même humour…
Et franchement je peux comprendre que ça passe pour certains puisque – me concernant – l’ennui s’est progressivement estompé au fur et à mesure des minutes sur cette seconde moitié.
Malgré tout la distraction ne s’est pas pour autant transformée chez moi en plaisir.
Le problème était resté le même.
Toujours la même question.
« Tout ça pour quoi ? »


Au fond ce « Lucky Strike » m’a renforcé dans une conviction : le propos au cinéma va bien au-delà des questions de discours et de morale.
Un propos cinématographique ça se ressent dans toutes les composantes d’un film.
Si à un moment donné ce qu’on cherche c’est proposer une peinture cynique d’un monde rendu pathétique et risible par l’appât du gain, alors dans ce cas on se tourne vers « Fargo » des frères Coen et on apprend.
Pourquoi, dans « Fargo », dès les premiers moments où je vois le personnage de Jerry au milieu de sa famille je ressens déjà ce cynisme ?
Pourquoi dès la première rencontre entre Jerry et ses deux hommes de main je sens déjà que le pire est à venir ?
Réponse : parce que tout dans « Fargo » transpire ce cynisme.
On voit bien ce que Jerry veut faire : escroquer son beau-père. On voit bien ce que Jerry recherche : la reconnaissance sociale et familiale. Il pourrait nous toucher mais son manque de noblesse et surtout son manque de scrupule – sa lâcheté – ne vont jamais cesser de l’enterrer dans nos cœurs de spectateurs.
C’est ce qui fait qu’on n’a pas besoin d’attendre une heure dans « Fargo » pour se mettre dedans et comprendre ou ça va.
C’est ce qui fait que chaque retournement de situation dans « Fargo » porte bien plus qu’un retournement dans « Lucky Strike ».


Au fond, être capable de faire transpirer son propos à chaque minute de son film, ça porte un nom : ça s’appelle avoir du style.
Et du coup quand ton style est lisse comme c’est le cas dans « Lucky Strike » – quand les personnages et les situations à l’écran ne se réduisent qu’à des fonctions aux services d’un jeu de passe-passe scénaristique – eh bien en fin de compte tu ne transmets pas grand-chose.
Tu te contentes de distraire, c’est tout.
Et la morale devient dès lors un cache-misère ; un subterfuge semé là en fin de parcours pour donner l’illusion que quelque-chose a été dit ; que quelque-chose a été transmis.


...Alors que bon, cette morale gentillette qui consiste à condamner les vilains et à récompenser les justes, ça fait quand-même plus conte pour enfant que véritable fable cynique. Pour le coup c’est quand-même sacrément léger.


Pour ma part, que m’a transmis ce « Lucky Strike » ? Rien.
Certes il m’a diverti une petite heure après m’avoir ennuyé platement.
Au mieux il m’a fait passer le temps.
Mais avec le recul, je me dis que mon temps j’aurais pu clairement le consacrer à autre chose.
Parce que moi, les ersatz, ça ne me va que deux minutes.
Or sans le style, difficile pour ce « Lucky Strike » de prétendre à être plus que ça…

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le 16 juil. 2020

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