Autant Mort à Venise était un hommage à Mahler et une interrogation (très) relativement « simple » sur l'art et la place de l'homme en tant qu'artiste, autant Ludwig : Le Crépuscule des Dieux est un hommage à Wagner et une question beaucoup plus complexe sur l'âme et ses méandres, où la fibre artistique, l'idéalisme politique et le désir sexuel sont étroitement mêlés et d'autant plus « exhibés » que l'homme les concentrant tous est un jeune monarque indépendant : Ludwig II de Bavière. Ce pouvoir associé à cette humanité conduira très vite le film à s'interroger également sur la folie et au sens profond que l'on donne à cette notion. Ainsi, ce film est-il en perpétuel mouvement et en éternelle instabilité : les émotions différentes et parfois contraires provoquées simultanément par les regards, les décors, les mouvements de caméra et la musique sont à l'image du déséquilibre...du personnage principal ?.. Seulement ??. N'est-ce pas plutôt un très subtil miroir tendu à chacun d'entre nous par un réalisateur de génie qui avait compris ses propres contradictions et voulait en vivre sans les renier ni cacher sa propre peur ?.. Et les scènes d'explication des personnages « auxiliaires » face à la caméra où ils expliquent les faits de façon péremptoire, sans accompagnement musical, n'ont-elles pas la froideur cynique du mensonge officiel ?.. Dans Ludwig : Le Crépuscule des Dieux, Visconti atteint la quintessence de sa magnificence et livre son œuvre la plus tourmentée, peut-être la plus profonde, dont la complexité est telle qu'elle peut parfois se confondre avec de la froideur... Il est vrai que ce film est ouvertement intellectuel et qu'il ne livre pas son nectar facilement : il faut accepter _ au moins dans un premier temps _ de suivre cette symphonie en tant que telle et de voir le personnage principal dans tous ses paradoxes sans le juger ni le condamner à-priori. Mais ceci est rendu facile par la performance extraordinaire dont nous gratifie Helmut Berger dans le rôle principal (même s'il ne faut pas occulter celles des autres, particulièrement Romy Schneider dans le rôle d'Elisabeth d'Autriche) : l'acteur, à la fois égérie et amant du réalisateur, porte le film avec une passion incandescente, un regard à la fois de braise et d'abîme, une sincérité aussi folle que déchirante, et fait ressentir tous les états d'âme de ce personnage si semblable à l'opéra de Wagner dont le film porte le titre : Ludwig croit en l'amour et ne veut pas renoncer à des rêves qui deviennent peu à peu paradis inaccessibles, paradis dont il porte les derniers vestiges lesquels lui permettront néanmoins de donner au monde le château de Neuschwanstein... D'une subtilité extrême, Ludwig : Le Crépuscule des Dieux est un film sublime et magique, une ode aux rêves de jadis mais aussi un constat amer sur la perversion du pouvoir et la solitude d'un pur, particulièrement triste et mélancolique... Un joyau brut, aussi brûlant que fragile...