L'homme dans la boîte
Déjà, et tu peux te moquer, j'ai envie de dire qu'il me manque comme jamais un gus me manquera jamais. Et pourtant, je mange pas de ce pain là, tu peux me croire, mais avec Luke, j'ai pris perpette. C'est marrant parce que maintenant, les gens en parlent comme s'ils l'avaient tous connu, comme si ça avait été le copain de tout le monde, comme si c'était des histoires, presque. Luke La Main Froide, une légende… sûr que ça le ferait rigoler.
Crois moi, un type comme ça, quand t'en croises un, vu l'ombre qu'il fait, tu l'oublies jamais, et les légendes, c'est que des salamalecs. Luke, il était vivant, plus vivant que n'importe qui. Moi je l'ai vu de mes propres yeux.
Au début, je vais pas te mentir, ça a fait des étincelles. Je sais pas lire, ni écrire et j'évite la jactance, je veux pas passer pour une bourrique. J'ai jamais eu que mes poings pour me faire comprendre. Mais je sais que je ne suis pas le dernier des cons. Dès qu'il y a un brin de gazon qui dépasse un peu, j'hésite pas, je ratiboise.
Et lui qui se pointe avec ses mots qui claquent et son sourire à la con. Le genre de mec qui fait mine de rien mais qui pisse dans ton jardin. Du coup, fallait que je lui écrase se jolie petite gueule histoire de lui apprendre qui est le patron, à «Monsieur je sais tout». C'est quand même pas un dingue qui décapite les parcmètres qui va faire sa loi dans mon dortoir.
Alors j'ai cogné. Il ne faisait pas le poids. D'ailleurs, personne n'a jamais fait le poids. Je pensais lui faire rentrer à la masse dans sa caboche que devant moi, fallait faire profil bas.
Mais j'avais pas bien vu, ni bien jugé le bonhomme. L'avait la tête dure, le lascar.
Le Luke, c'était pas le genre à se faire plier. Ça, il a dégusté. Mais il m'a écœuré. Comme il les a tous rendus fous en avalant ses œufs durs à la chaîne ou en épuisant à mort le clébard…
Putain, je m'en souviens comme si c'était hier, son ventre gonflé, proche de l'explosion. Il était allongé là, les bras écartés. On aurait dit Jésus avec une bedaine.
Même en lui faisant creuser sa propre tombe, même à genoux, ce mec était le plus fort. C'est comme ça, on n'est pas tous nés sous la même étoile. Y'a des gars qui sont pas faits de la même chair, du même sang que nous autres et je crois bien que j'ai jamais vu autant de liberté dans un mec. Enfermé ou pas.
C'est à partir de ce jour que j'ai commencé à l'aimer. (Rigole pas trop car ça peut encore partir tout seul!) Pas au point de lui tailler des pipes, entendons nous bien, mais le suivre n'importe où... ouais, sans problème.
Quand ils l'ont eu, j'étais avec lui, pas loin. Il était dans cette église, à parler à Dieu qui l'écoutait pas. Et quand ils l'ont troué, je suis mort un peu aussi.
Mais j'ai eu le temps de le voir partir tu sais et j'oublierai jamais son sourire, mec. Comme si c'était ce qu'il avait voulu, comme si c'était lui qui tenait les rênes.
Libre, quoi, même dans la mort.
Dieu que cet enfant de putain me manque.