Préambule: j'ai vu ce film avec une personne vétérinaire.
Il est facile de prendre ce genre de documentaire/film pour de la qualité car il se donne un air inspiré, observateur en montrant de pas trop moches images.
Mais l'observateur attentif va vite voir que ce film est une ingérence dans la vie sauvage, modifiant le comportement des animaux observés et les exposant à une plus grande mortalité.
Durant des mois, il tente d'attraper le lynx avec sa caméra. Avec sa patience, il va réussir. Sauf que c'est probablement le lynx qui l'a accepté comme faisant partie de son univers et donc s'en méfie moins. Le mérite revient au lynx de le tolérer, pas au caméraman qui viole son territoire.
-- Vers la fin, le narrateur dit qu'il a eu l'impression un instant que le lynx savait qu'il était là. Le connaisseur lui répond: "Oui c*****d, il te sent depuis le début. Il te tolère. Pourquoi crois-tu que la fille lynx (qui se laisse observer par une promeneuse et sa fille qui sagement font demi-tour) est moins farouche avec les humains? Pourquoi crois-tu que le jeune mâle (qui n'a pas été filmé) qui appelle la femelle reste caché dans un vallon inaccessible? Pourquoi le lynx s'approche des villages? Parce que son territoire "s'est rétréci?" Au Jura, canton suisse couvert de forêts dont la population augmente seulement de 5,4% entre 2012 et 2022?"
-- Vers le milieu, le narrateur s'attriste que des biologistes capturent la mère lynx en Suisse pour l'envoyer coloniser des pays de l'Est, la retirant à ses trois petits lynx, tout juste en âge de se débrouiller. A la fin, il dit qu'il faut remercier les gens qui ont réintroduit le lynx en Suisse pour réguler la vie de la forêt. S'il a été réintroduit, c'est qu'il a été capturé ailleurs, possiblement le retirant de son habitat et de ses petits. Alors quand est-ce triste et quand est-ce une bonne chose? Quand est-ce bien de perturber l'ordre naturel de la vie sauvage? D'abord il faudrait trouver les causes des causes, qui ne sont jamais évoquées dans ce film, trop occupé à montrer l'objet de son obsession.
-- Il passe des semaines et des mois à suivre leurs traces. Il s'immisce dans leur vie naturelle pour "réaliser son rêve d'enfant". Mais les tueurs en série ont tous eu un rêve de tuer quelqu'un. Ce n'est pas parce que c'est un rêve d'enfant que tu dois le réaliser, surtout si c'est au détriment de la chose convoitée.
-- Ce film est monomaniaque, il est le reflet de l'obsession d'un personnage. Il montre un mauvais exemple, car si d'autres l'imitent, alors que se passe-t-il?
Au lieu de nous présenter son travail, les heures d'affût, ou les minutes à installer des pièges-photo qui capturent les images quand il n'est pas sur place, les traces à suivre, il nous sert le résultat. Car son but et de voir le lynx. Son but est une performance. Si ces animaux sont très discrets, c'est pour une raison. La nature fait bien les choses dit-on, mais souvent l'humain l'oublie et veut faire ce qu'il a envie de faire, sans penser au mal qu'il fait. Ce film n'est pas le reflet de son travail, mais juste le résultat, car c'est le résultat qui compte on dirait.
-- Niveau technique, ce film est tout juste correct. A part quelques bons plans aériens filmés avec un drône, ce qui a dû déranger pas mal de faune, la qualité objective est très moyenne. Mais c'est normal, quand un sujet est si rare, on capture ce qu'on peut sans finasser l'esthétique.
-- Au final, ce film est le reflet de l'invasion humaine dans les territoires naturels tenus par les animaux sauvages. Pour le comprendre, voyez le sublime «Never Cry Wolf» («Un Homme parmi les loups»), de Caroll Ballard. Il nous en apprend mille fois plus sur la vie sauvage, la vie humaine, les activités humaines commerciales et les effets collatéraux du simple fait d'observer la vie sauvage. Ici le réalisateur n'a semble-t-il aucune conscience de ses actes. Juste une vision mono-centrée sur ce qu'il veut voir.