C'est seulement le second film de Bruno Dumont que je vois (après « Hadewijch », et suis à nouveau prêt à lui reconnaître de nombreuses qualités. D'abord, c'est vraiment très beau : que ce soit la photo, la magnifique lumière ou le choix des décors, il est peu dire que « Ma Loute » est au-dessus de la mêlée, ce que la superbe musique classique ne fait qu'amplifier. D'ailleurs, pendant un bon moment je n'ai pas été loin d'être sous le charme. Univers décalé, folie douce et glauque à la fois, attachante histoire d'amour accompagnée d'une jolie réflexion sur l'identité sexuelle, volonté de montrer une forme de monstruosité chez les bourgeois comme les prolos, presque toujours sur le ton de la comédie... La singularité de l'œuvre est évidente, tout comme ce langage ch'ti presque surréaliste et cette touche de fantastique déconcertante mais apportant une drôle de poésie plutôt bienvenue à mon sens.
Le problème, c'est que cela dure plus de 110 minutes, et ce qui me plaisait tant au départ a presque fini par se retourner contre le film. Ces aristos tout en outrance et en excès, c'est d'abord efficace, mais ensuite lassants voire fatigants, Fabrice Luchini et (surtout) Juliette Binoche n'hésitant pas à en faire des tonnes avec un bonheur inégal. Même constat pour les « ploucs » : si cette dimension cannibale fait au départ son effet, Dumont n'en fait pas grand-chose, apparaissant presque comme un gadget au milieu de toutes ces bizarreries. Le scénario n'a clairement pas les épaules pour tenir sur la durée, notre régulière incompréhension vis-à-vis de ce patois rendant presque une phrase sur deux inaccessible n'aidant pas non plus : j'imagine que c'est délibéré, mais ça ne m'a pas convaincu pour autant.
Dans la dernière demi-heure (voire avant), j'en avais un peu marre. Le réalisateur n'a plus grand-chose à dire, même la partie
« cannibale »
ne débouchant sur presque rien. Après, jusqu'au bout il y a une scène, un plan (whaou, cette plage et la lumière l'éclairant sont vraiment magnifiques) retenant parfois l'attention, permettant de ne pas totalement décrocher. On ne peut toutefois que regretter qu'avec de telles qualités formelles et un propos qui avait tout pour frapper un grand coup, on se retrouve avec un ressenti aussi mitigé, confirmant le réel talent formel de son auteur, mais aussi (et surtout) son incapacité à construire, à renouveler un récit sur la durée, au point de laisser l'ennui s'installer. Frustrant, surtout au vu des promesses initiales.