J'en ai visionné des Dumont. En conséquence, je sais très bien qu'il n'est pas du genre à reculer devant un délire. Et pourtant, tout juste après la fin de la vision de chacune de ses œuvres, c'est la sidération qui règne chez moi. Mais qu'est-ce que je viens de regarder ? J'ai aimé ou je n'ai pas aimé ?
Bon, voyons ce que j'ai aimé d'une façon certaine.
Péchez en paix morues et maquereaux à profusion !
J'ai particulièrement kiffé cette phrase extraite du discours du prêtre sur la plage, car savoureusement, elle peut être prise dans deux sens bien différents. Il fallait que je la souligne.
Pour ce qui est de la photographie, des extérieurs sur la Côte d'Opale (il n'y en a pas quelques-uns qui avaient déjà été utilisés dans Hors Satan ?), des costumes d'époque, Bruno Dumont continue de déchirer. C'est un délice pour le regard. Il y a même des plans qui rappellent Gustave Courbet.
Il y a aussi la musique très belle et bien employée d'un jeune compositeur belge Guillaume Lekeu (que je ne connaissais pas jusque-là, honte pour mon inculture !) de la seconde moitié du XIXe siècle, décédé le lendemain de son vingt-quatrième anniversaire de la fièvre typhoïde, inspiré de Beethoven, n'étant pas sans rappeler Mahler.
Bon, voilà, ce que je suis sûr d'avoir aimé.
Autrement, c'est P'tit Quinquin (pour le gros délire nonsensique et pour le duo de policiers encore plus cons que leurs pieds, qui ne verraient pas un éléphant dans une boîte à chaussures !) qui s'est craché sur Roméo et Juliette (sauf que c'est le fossé social qui pose principalement problème ici !) et qui a culbuté La Colline a des yeux (ô prolétaires ch'tis, tuons et bouffons du bourgeois qui nous asservit !).
Un peu de Dupond et Dupont et une pincée de Laurel et Hardy (le gros et le petit !) pour les deux débiles qui (mal)mènent l'enquête, dont l'un (le gros !) ne manque jamais de se rouler accidentellement sur les dunes avant de finir en baudruche. Du Luis Buñuel avec la Juliette bourgeoise qui change réellement de sexe (et ne le travestit pas seulement !) selon qu'elle s'habille et se coiffe en homme ou en femme (ah oui, dans le rôle, j'ai aimé aussi Raph qui apporte une grâce ainsi qu'une fraîcheur bienvenues à l'ensemble !).
Voilà un peu pour les références. Je suis passé sans doute à côté de plusieurs d'entre-elles.
Dumont s'était déjà payé le luxe de reprendre de son film précédent, Camille Claudel 1915, Juliette Binoche et Jean-Luc Vincent, qu'il se plaît cette fois à faire cabotiner dans des rôles de dégénérés. Auxquels il ajoute Valeria Bruni Tedeschi et surtout Fabrice Luchini. Luchini, c'est habituellement le verbe vif, flamboyant et droit comme un I. C'est Luchini qui fait son Luchini. Pas là. C'est Luchini dont Dumont se complaît à pervertir l'image en le transformant en Quasimodo parlant comme un débile mental à la sauce Giscard.
Tout ce beau monde incarne des bourgeois dans leurs frous-frous élégants qui sont autant consanguins que les cannibales aux trognes peu banales (où Dumont arrive-t-il à trouver de telles trognes ?). Bref, chacun est dans le même bateau, excepté en ce qui concerne le contenu dans le porte-monnaie et sur l'assiette. Mais l'argent ne fait pas que les uns valent mieux que les autres (les uns bouffent symboliquement les autres, les autres bouffent vraiment les uns !). Seule la fille du personnage joué par Juliette Binoche par sa sincérité à sauter par-dessus le fossé donne une petite lueur à ce tableau bien sombre de l'humanité.
Bon, je reprends avec un peu de recul. Formellement, j'ai aimé. Musicalement aussi. Pour le jeu des comédiens et des comédiennes ? Ouais, j'ai éprouvé de la jouissance à voir des pointures du cinéma français se prêter au jeu du ridicule. Mention spéciale à Luchini. Dans la face opposée, Raph est une brise agréable. Les thématiques sous-jacentes, d'une grande noirceur, contrastent d'une manière fascinante avec l'absurdité de façade. Et l'expérience n'hésite jamais à surprendre et à bousculer. Euh... ouais, j'ai aimé. Bon appétit.