À l’origine de Mademoiselle de Joncquières, il y la promesse anachronique d’un film classique. Assujéti à un texte de Denis Diderot, il donne le ton au souffle singulier qui va entrainer l'oeuvre et comme les somptueux costumes de la protagoniste principale, le film cherche ses plis et ses débords. Il les découvre rapidement : un astucieux mixage son permet au spectateur d’entendre avant de voir, et cela dès le premier plan, imposant la présence intrusive des personnages, sonore puis physique, dans l’harmonie initiale d’une forêt de province. Sur ce principe va se fonder la relation entre Madame de La Pommeraye et le Marquis des Arcis. Un réseau dialogué sur lequel se repose l’intégralité du récit se constitue, portée par une mise en scène résolument figée. Le pano initiale semble être l’unité maximale de mouvement que s’autorise Emmanuel Mouret, jusqu’à la rupture.


La fin de leur union harmonieuse pli le récit et fait déborder la mise en scène. Ainsi, notre point de vue prend du recule jusqu’à sortir du cadre du narratif. L’inversion du rapport de force, de la mise en scène inconsciente du marquis à celle consciente de Madame de La Pommeraye, rend désormais le spectateur complice d’une femme persécutrice. On la découvre de plus en plus triste et vide, comme l’illustre son froid discours face à la mort juste après avoir fait éclater la mascarade du mariage du marquis au grand jour. Complice dans le sens où les ficelles qu’a subit le spectateur, il peut désormais les appréhender et regarder impuissant le marquis les subir lui-même.


Un exemple paraît innocent mais illustre parfaitement cet état de fait. Lors de la cour que lui fait le marquis pendant la première parti du film, il n’était pas rare que le personnage de Cécile de France déplace les fleurs dans les pots afin de composer des bouquets. Le but assumé est de rendre la situation légère et de montrer l’indifférence initiale de Madame de La Pommeraye envers les attention que lui porte le marquis. Après leur rupture, elle attend que le marquis entre dans la pièce avant de commencer à déplacer des fleurs. Ces quelques secondes devançant la reprise du réseau dialogué, support du récit, sont suffisamment éloquentes pour exprimer ce débord général de mise en scène à partir de l’éclatement du couple originel du film.


Lire la suite...

Hétérotopie
8
Écrit par

Créée

le 26 sept. 2018

Critique lue 661 fois

4 j'aime

Hétérotopie

Écrit par

Critique lue 661 fois

4

D'autres avis sur Mademoiselle de Joncquières

Mademoiselle de Joncquières
guyness
8

de France, insoumise

Certains projets semblent avoir du plomb dans l’aile avant même leur lancement: un texte daté qui semblera ampoulé ou poussiéreux au plus grand nombre, des acteurs ayant jusque-là peiné à convaincre...

le 25 janv. 2019

57 j'aime

19

Mademoiselle de Joncquières
titiro
7

Pureté et ravissement.

La qualité n'est pas toujours récompensée. Mais parfois, il arrive qu'une perle rare ne passe pas inaperçue, au milieu de ce florilège de sorties cinématographiques pas toujours réjouissantes. Une...

le 11 oct. 2018

21 j'aime

7

Mademoiselle de Joncquières
Cinephile-doux
7

Raison et ressentiment

Tout le cinéma d'Emmanuel Mouret est contenu dans le titre de l'un de ses films : L'art d'aimer. Il y est toujours question de raison et de sentiments et parfois de ressentiment comme dans...

le 12 sept. 2018

20 j'aime

5

Du même critique

Sauvage
Hétérotopie
6

Contre la normalisation

Dans les années 70, alors que bat son plein ce que l’on appelle communément la “Révolution sexuelle”, ont fleuri des revues et des journaux militants homosexuels, transgressifs et provocateurs. À la...

le 29 août 2018

7 j'aime

Moonlight
Hétérotopie
5

Frustration plastique

Au sortir d'un tel film, difficile de réellement séparer le fond de la forme. Son importance politique n'est pas sauvé par la plastique de l’œuvre, d'une relative médiocrité. Relative car elle a le...

le 6 févr. 2017

7 j'aime

Adonis
Hétérotopie
5

L'objet du désir

Il est de ces films qui, en dépit de leurs défauts et de leur inachèvement manifestes, exercent néanmoins un charme discret sur le spectateur, de par une très grande naïveté dans la réalisation de...

le 7 oct. 2017

6 j'aime

1