Eh bien, le voici, le sixième des six films réalisés par Kinuyo Tanaka. Je suis toujours content quand je termine l'entièreté de la filmographie d'un réalisateur ou d'une réalisatrice. Voilà, c'est fait, je peux passer à d'autres cinéastes. Mais pour le cas de Tanaka, il y a une petite pointe de frustration. En effet, j'ai le sentiment qu'elle aurait pu tout à fait s'établir sur une carrière derrière la caméra encore bien plus fournie, avec une petite dizaine... allez même une petite vingtaine de films. Elle avait du talent aussi bien pour raconter des histoires que pour les mettre visuellement en scène. C'est loin d'être donné à tout le monde.


Et mieux encore, surtout dans The Eternal Breasts et La Nuit des femmes, elle balance sans fléchir sa capacité à avoir sa patte bien personnelle à travers des thématiques furieusement féministes, avec notamment une protagoniste se décidant qu'elle peut et doit ÊTRE malgré la pression patriarcale, et aussi par le biais d'une narration, se faisant par une suite de petites scènes, pour poser l'histoire, l'héroïne et les cadres dans lesquels cette dernière évolue.


Bon, c'est bon. Je me suis suffisamment plaint comme ça. Six films, c'est déjà très bien. Je tiens à demander pardon d'avoir fait un peu longuement une sorte de bilan global de toute une carrière au lieu de parler tout de suite du film en question, Mademoiselle Ogin.


Bonne nouvelle, Kinuyo Tanaka peut se vanter de nous avoir légué aucun mauvais film.


Cette œuvre de conclusion pour la Tanaka réalisatrice est peut-être le plus mizoguchien de toute sa carrière. Par sa plongée dans le passé historique lointain, plus de trois siècles et demi avant (le bond d'une vingtaine d'années en arrière pour La Princesse errante n'est rien en comparaison !), avec tout ce que ça comprend de décors et de costumes. Par une histoire d'amour impossible dont la principale victime est la femme, parce que le contexte de l'époque (à savoir les persécutions subies par les chrétiens à la fin du XVIe siècle !) est bien fait pour pourrir une existence qui refuse de se soumettre.


Mais il y a tout de même le portrait d'une femme forte qui, à l'instar des héroïnes de The Eternal Breasts et de La Nuit des femmes, mais à sa manière, se décide à ÊTRE en refusant avec fermeté ce que la société attend qu'elle soit. Pas question de se trahir soi-même. Alors qu'une héroïne mizoguchienne se laisserait écraser avec fatalisme, une héroïne tanakienne affronte les malheurs du destin la tête haute.


L'autre point personnel, c'est-à-dire le récit par petites touches successives, fonctionne bien étant donné que l'on reste la plupart du temps sur un cadre intimiste. La seule fois pendant laquelle la toile de fond va au-delà de quelques échanges de paroles entre un nombre réduit de personnes, c'est lors de la procession punitive d'une chrétienne attachée sur le dos d'un cheval, acceptant avec sérénité d'être menée vers la crucifixion. Intelligemment, Tanaka laisse la possibilité à la séquence de s'étendre, aussi bien sur le plan de l'espace que sur celui du temps, pour que l'impression soit aussi percutante pour la protagoniste que pour le spectateur.


Bon, bref, j'ai hâte de passer au septième... ah oui, zut… Bon, allez, un très grand merci à Kinuyo Tanaka de s'être dit un jour qu'elle allait devenir réalisatrice, d'avoir été jusqu'au bout de sa volonté, de prouver qu'une femme dans une société patriarcale peut tenir bon en montrant de quoi elle est capable (au fond, c'est elle qui a été la première véritable héroïne tanakienne !) et de nous avoir légué ces six beaux films.

Plume231
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le 19 mai 2022

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