Souvent conspué au sein de la filmographie du Maître, The Trouble With Harry est un exercice de style à rapprocher (parmi d'autres exemples) de La Corde. Les deux films ont en effet comme point commun de créer un contraste saisissant entre oisiveté insouciante de quelques quidams et présence de la Mort. Ils partagent par ailleurs une unité de temps (une journée pour le premier, une soirée pour le second) et de lieu, bien que le plan-séquence factice de La Corde soit un huit-clos au sens strict tandis qu'Harry alterne entre trois emplacements bien identifiés.
Si cette configuration théâtrale a pu rebuter beaucoup d'admirateurs du Maître, elle lui permet pourtant d'expérimenter de manière inédite sur d'autres aspects. La Corde restait un thriller dans la plus pure tradition hitchcockienne, mais Harry opère un saut à pieds joints dans la comédie british tendance Ealing Studios.
Les enterrements et déterrements successifs du cadavre éponyme génèrent une mécanique nonsensique, presque surréaliste, que le cinéaste a trop rarement foulé. En terme visuel, ce dernier offre peut-être le plus beau Technicolor de sa carrière, la photographie flamboyante de Robert Burks offrant d'extraordinaires panoramas champêtres automnaux.
Le tempo comique de l'intrigue et des dialogues, combiné à cette luxuriance picturale, génèrent donc un décalage bien plus retors qu'il n'y paraît au premier abord avec la matière noirâtre des évènements. Bien qu'Hitchcock prenne un malin plaisir à accumuler les péripéties et révélations en cascades, ces contrastes lui permettent d'autopsier des zones peu reluisantes de son microsome humain.
Incarné par des acteurs et actrices exemplaires qui restent constamment sur cette ligne de crête entre pittoresque innocent et amoralité notoire, Harry provoque un réel malaise et pousse sans cesse le spectateur à s'interroger sur des notions abondamment explorées par le Maître. Culpabilité, perversité, manipulation et concupiscence sont en fait constamment évoqués à l'écran, notamment via une écriture ciselée qui préconise les sous-entendus permanents.
The Trouble With Harry est une nouvelle illustration, à réévaluer de toute urgence, de la capacité des cadors du cinéma à toujours trouver de nouvelles formes esthétiques aptes à faire passer leur message sur la condition humaine.