Les films sur le sujet sont rares, voire inexistants, c’est pour cela que j’y allais sans rien savoir, m’attendant à découvrir un documentaire. Mais l’approche s’est révélée différente de ce que j’imaginais. Jean Charles Hue filme en toute connaissance de cause le monde des Yéniches, une communauté de gens du voyage dans l’Oise. Et c’est peu dire qu’il agit en connaissance de cause, car le réalisateur s’est parfaitement intégré à cette communauté, dont il connait les codes et les respecte. Il nous passe donc tout l’aspect documentaire, pour se focaliser sur une fiction librement inspirée d’un fait vécu.
J’ai trouvé intéressant le rapport à l’espace dans le film. Les choix de cadrages illustrent bien la condition de marginaux des Yéniches : le jour, ils sont montrés seuls, sans « civilisation » alentours, au milieu de paysages désaffectés, comme par exemple le premier plan, qui montre Jason et Moïse filant à toute allure à travers champs. La nuit, c’est là qu’ils osent s’aventurer dans la civilisation, au moment où celle-ci est désertée de ses habituels habitants, les gadjos, comme le restaurant où ils s’arrêtent. Mais durant tout le film, la caméra est très proche de ses personnages, on perçoit à travers elle l’affection réelle du réalisateur portée aux personnes qu’il filme. Cela donne des plans rapprochés, nous exposant des visages et des corps bruts, naturels, façonnés par leur mode de vie mais aussi par la violence, cependant toujours montrés avec une pudeur respectueuse.
Mais ce qui m’a particulièrement marquée dans ce film, c’est la lumière. Dans les scènes introductives, où Jason attend le retour de son frère, on découvre la communauté sous la lumière éclatante du soleil, et la manière dont la chaleur enveloppe les personnages suffit à en dire long sur leur manière de vivre : à l’extérieur, en adéquation avec leur milieu. La scène de retrouvailles entre Jason et son grand frère Fred, sortant de 15 ans de prison, est filmée dans un beau contre-jour, dans une sorte d’illusion solaire. Si le début se passe en pleine journée, la plus grande partie du film se déroule la nuit, et là particulièrement le travail sur la lumière mérite d’être souligné. On perçoit un énorme travail du chef opérateur dans l’éclairage des scènes nocturnes, qui permet aux personnages de toujours baigner dans une sorte de halo. Les phares d’une voiture, un lampadaire, des sources de lumières éparses permettent de créer une ambiance presque onirique, qui permet de sublimer, qui l’eut crut, les banlieues désaffectées de l’Oise. Cette fameuse nuit file elle-même à la vitesse de la lumière : à partir du moment où Fred retrouve sa chère voiture, le film roule à toute allure, comme s’il n’y avait pas de lendemain, semblant tout brûler sur leur passage : ils frôlent la mort, l’inflige à d’autres, défient les lois de la société, pour tout consommer et ne rien regretter. Le rire, les larmes, la peur, l’amour, tout s’enchaîne dans cette recherche frénétique de la vie, en ces lieux qui en sont totalement dépourvus. Leur amour fraternel apparait alors éclatant, il s’exprime avec les tripes, on s’insulte, on se bastonne, mais c’est surtout pour ne pas se perdre, plus jamais.
Finalement, ce road trip, entre dernier voyage et épopée initiatique, était peut être l’une des meilleures manières de rendre hommage à ces marginaux gueulards, avant qu’ils ne repartent dans l’ombre de leur existence aussi vite qu’ils en sont sortis grâce à cet éblouissant coup de projecteur.