Après « T-Men » au style visuel affirmé, Mann retrouve John Alton pour « Raw Deal » (Marché de brutes) pour un travail sur la photographie très élaboré. D’un côté la femme fatale, figure presque imposée du film noir, prête à tout pour récupérer l’homme qu’elle aime, que la lumière habille de contraste et les mouvements de caméra de tourments. De l’autre l’ingénue, amoureuse du même homme, elle aussi prête à tout, nimbée de lumière douce (trop douce pour qu’elle soit véritablement accessible au bad boy qu’elle aime follement), illustrée dans des mouvements de caméra simples comme la pureté. Ce trio amoureux est sans cesse trahi par l’« ami » maléfique, sanguinaire et pyromane (impressionnant Raymond Burr) dont le bras armé (John Ireland) est aussi déjanté que lui, la jouissance de ses méfaits en plus. L’interprétation remarquable de Claire Trevor, Marsha Hunt (peut-être son meilleur rôle) et Dennis O'Keefe nous embarquent dans le désir d’un happy end. Impossible tant les personnages principaux se débattent dans un cycle infernal où il ne maîtrisent rien, si ce n’est leur rédemption obligatoirement fatale. Tragédie à la fois prenante et touchante, jusqu’à la sublime scène finale qui se déroule sous les yeux de l’amante fatale, qui l’a scellée en prenant pour la première fois un coup d’avance, sur sa rivale. Violent, sec et brutal, tendu comme un arc et sans un plan de trop (79 minutes, ça laisse peu de place à la flânerie), « Raw Deal » était de loin la meilleure et la plus belle réalisation d’Anthony Mann à l’époque. Il faut dire que cette série B est tout simplement un grand film.