Jeune encore, dans sa cinquante-troisième année, il ne lui reste pourtant plus que dix jours à vivre. Elle pressent la fin inéluctable et l’attend : à quoi bon continuer une vie sans sa voix sublime, inégalable, martyrisée par ses régimes, qu’elle ne retrouvera plus, réécoutée sur sa platine de disque poussée au maximum, une perfection divine de soprano, dans le décor baroque et crépusculaire de son cloître parisien. Amaigrie, diaphane et accompagnée de ses seuls gouvernante et majordome, retrouvant comme par jeu son caprice d’ex-diva adulée, comme au temps de sa gloire, avec ce lourd piano à queue qu’elle fait déplacer au gré de ses humeurs.
Cette gloire comme son bonheur elle en a fait son deuil, son corps à bout de forces est en train de lâcher prise, ses organes vitaux se défont peu à peu, intoxiqués par les déchets qui la tuent, dans sa dépendance de médicaments, droguée aux barbituriques et amphétamines.
Alors il ne lui reste que les souvenirs qui la hantent, ces errances hallucinées fantasmées dans la capitale française ou égarées dans les méandres de sa mémoire : sa famille, la jeune fille douée et quasi obèse qu’elle a été, livrée par sa mère aux soldats, Aristote Onassis, en fantôme, pirate lancé à l’abordage pour enlever ses proies venant habiter ses nuits ; les grandes salles d’opéra, Paris, Milan, la Scala, panthéon où par sa rage d’excellence elle bouleversera et subjuguera le public de connaisseurs exigeants par sa mémorable performance dans l’AnnaBolena de Donizetti.
Autant que Fanny Ardent dans Callas forever de Zeffirelli (2001), le choix d’Angelina Jolie pour
interpréter la diva est une pleine réussite. Maria est pour l’actrice comme une sœur jumelle, un
miroir qu’on lui tend : elle possède le charme et l’art de la séduction, la nostalgie jusqu’au désespoir de l’héroïne, l’expérience et l’épaisseur de sa propre vie, la ronde de ses romances, de ses amours et de ses échecs, elle en partage le mode mineur, les failles et la fragilité pathétique.
Cinématographiquement parlant, le réalisateur Pablo Lorrain va superposer en un même plan deux moments de la vie de la cantatrice dans la plongée temporelle de va-et-vient en flash-backs ; ainsi Maria se découvre pour une même œuvre à dix années de distance, en 1977 essayant laborieusement de retrouver et de récupérer sa voix dans le vide d’un théâtre sans public, en déchirant contraste avec la Callas qu’elle fut naguère, l’icône mythique auréolée de gloire.
Peut-être pourrait paraître inutile dans le film lui-même le faux prétexte d’un reportage télé de
l’équipe chargée de réaliser sa biographie filmée. Certes mais il s’agit surtout de concrétiser
l’hallucination onirique de Maria Callas qui à force de vivre sur les scènes d’opéra ne parvient plus à tracer une nette frontière entre réalité et fiction.
A conseiller pour qui veut revivre les grands moments d’émotion de la vie et de la carrière de la
diva ponctués par les sublimes extraits du plus beau des belcantos, dont le sublime « Casta diva » de La Norma de Bellini