La carrière de Duvivier est très variée car il touche un peu tous les genres de la comédie au film noir en passant par des films romantiques (Marianne) démontrant, si cela était nécessaire son immense talent indémodable.
Suivant l'entretien dans le bonus du DVD avec René Bonnefille, auteur d'un livre sur Duvivier , "Marie-Octobre" est tiré d'un roman de Jacques Robert qui a participé au scénario mais qui a décidé d'en modifier complètement l'histoire, en s'inspirant, entre autres, plutôt de l'affaire René Hardy pour laquelle Jacques Robert avait été chroniqueur judiciaire.
Impressionné par "douze hommes en colère", Duvivier organise la mise en scène dans un soigneux et très étudié huis-clos respectant l'unité de temps, de lieu et d'action.


Comme tout le monde le sait, l'histoire du film évoque la recherche, 15 ans après l'évènement qui s'est déroulé quelque temps avant la Libération, du membre du réseau qui est coupable d'avoir trahi et causé la destruction du réseau et la mort du chef de ce réseau. On peut noter à cette occasion, la cohérence entre la date de réalisation 1959 et la date du scénario censée être 15 ans après l'évènement qui s'est produit en 1944.


Ce qui est essentiel dans ce film est la construction absolument pas manichéenne des personnages qui, en marge de leur activité de Résistance, pouvaient avoir des relations ambiguës avec les autorités ennemies : marché noir, fonctionnaire aux ordres des allemands, imprimeur travaillant pour la propagande nazie, ancien membre de ligues d'extrême droite, etc. Même Danielle Darrieux n'est pas sans tache puisqu'une scène où Paul Guers est au piano et joue la musique d'une chanson que chante Danielle Darrieux dans un film de la Continental (aux ordres des nazis) "premier rendez-vous" ... Ce qui est un rappel subtil d'une période très ambigüe où plusieurs autres acteurs du film avaient aussi tourné pour la Continental.
De toute façon, les personnages de ce huis-clos recouvrent un peu tous les profils "typiques" qu'on peut trouver dans une société : le boucher, l'imprimeur, une couturière, une bonne, un prêtre, un inspecteur des finances, un juge, un serrurier, un médecin, un patron de boite de nuit.


L'histoire est complètement montée de sorte que le spectateur peut facilement endosser la défroque de l'un ou de l'autre ou encore se sentir visé par l'un ou l'autre. Le suspense est total puisque il est dit aussi que les acteurs n'ont pris connaissance du dénouement et du nom du traitre que peu avant la fin du tournage de sorte à maintenir une tension pendant le tournage.


Pour ce qui me concerne, la première fois que j'ai vu ce film, il y a peut-être une vingtaine d'années, pas guère plus, j'ai vraiment été impressionné par le déroulé du film et le dénouement de ce qui est un véritable drame. Par la suite, une fois l'histoire connue, à chaque visionnage du film, je m'attache aux détails techniques du tournage qui sont magnifiques et dont je découvre à chaque fois un détail nouveau.
La caméra ne cesse de bouger autour des personnages ; parfois elle monte et est en plongée. D'autres fois, la caméra effectue des mouvements panoramiques rapides pour capter les expressions des visages. La position des individus dans la pièce et leurs mouvements relatifs ou encore les perspectives où on voit un acteur au premier plan avec en arrière plan un ou deux autres acteurs ont toujours du sens. On sent que rien n'a été laissé au hasard dans la mise en scène.


Le choix des acteurs est aussi très signifiant : tous les acteurs retenus sont d'égale importance et sont tous des acteurs très populaires et très connus dans les années 50-60. Ils sont tous plus ou moins dans un registre où on les y voit bien : Paul Meurisse en grand bourgeois au visage impénétrable et à la voix posée et grave, Dalban en ouvrier serrurier honnête, Franqueur en boucher bon vivant fort en gueule, Ventura en patron de night-club prêt à user de ses poings, Blier en homme de justice prudent, Noel Roquevert en inspecteur des finances inflexible, Serge Reggiani en imprimeur, etc ...
Danielle Darrieux dans un rôle d'Athena vengeresse, droite dans ses bottes, pure et inflexible dont les portraits sont sublimes. En particulier, certains profils où on ne voit pas l'éclat de ses yeux. Son jeu est puissant même si on sent une fragilité et une émotion à fleur de peau.


Tous les personnages sont aidés par les dialogues incisifs de Henri Jeanson. On assiste à des joutes verbales où tous les coups semblent permis. Gare au mot de travers. Il est immédiatement repris à la volée par les autres qui n'attendent que le faux-pas verbal pour s'engouffrer et fondre sur l'imprudent.
Virtuose.
La tension dans le film est palpable. Seuls, les interludes de la télé qui retransmet un match de catch que veut voir Franqueur, relâchent pendant quelques secondes la tension. Et encore car ces interludes agacent la plupart des participants. Les interventions toujours savoureuses de la bonne jouée par une (toujours) adorable Jeanne Fusier-Gir parfois détendent l'atmosphère sauf quand ses propos se retournent brusquement contre elle.


Pour moi, c'est un très grand film, puissant, indémodable que je ne me lasse pas de voir et revoir régulièrement.

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le 7 oct. 2021

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JeanG55

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