Martyrs est avant tout un cri de colère. Celui de son réalisateur, Pascal Laugier. Et pour comprendre ce courroux, il faut nécessairement se replonger dans le contexte sociétal de la fin des années 2000.
Alors que Laugier prépare Religion, un film qui devait s'inscrire dans la lignée de La Forteresse Noire de Michael Mann, mais en prenant l'intégrisme pour toile de fond, le développement de son projet se voit ralenti face à sa difficile ambition (et n'aboutira finalement jamais). À ce moment-là, la chaine crypté Canal + cherche de nouveaux sujets à exploiter pour sa case "films de genre" sous l'égide de Manuel Alduy. Le réalisateur de Saint Ange se voit alors motivé à rédiger un script dans l'urgence, reflétant l'état psychologique qu'il traverse où colère et dégoût l'assaillent face à une société libérale qui évolue d'une manière qu'il déteste et face à l'ambiance générale d'un pays qui ne cesse de plonger dans un climat brutal et délétère depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à sa tête. Sans oublier l'absence d'une contre-culture influente, de propositions et de visions autres que la compétition et l'économie de marché qui métamorphose, entre autre, l'univers du cinéma.
La seule image que Laugier a en tête est celle d'une fille vengeresse armée d'un fusil à canon scié qui massacre une famille française ordinaire. Un vrai cliché de cinéma de genre qui va lui permettre de développer une histoire correspondant pleinement à la virulence que son état psychologique traverse : urgence, chaos et survie perpétuelle. Et en ce sens, Martyrs est sans contexte une œuvre immensément sincère de la part de son auteur.
Enfant, Lucie a été kidnappée, séquestrée et quotidiennement torturée sans qu'elle ne sache réellement pourquoi. Elle est néanmoins arrivée à s'échapper et s'est vue recueillie dans un centre d'aide à l'enfance où elle a vainement tenté de se reconstruire auprès de sa seule amie, Anna. 15 ans plus tard, suite à un bénin article dans la presse, Lucie reconnaît ses tortionnaires sur une photo et décide de se venger...
Point de départ d'un récit plus qu'intransigeant, le synopsis de Martyrs ne reflète pas vraiment la véritable descente aux enfers que le spectateur va subir pendant près de 100 minutes. Une sorte d'électrochoc cinématographique qui n'a jamais été égalé depuis. Sans l'ombre d'un temps mort, Martyrs attrape à la gorge sans ne jamais relâcher la pression et va provoquer les foudres de la censure qui n'avaient plus tonné depuis les scènes pornographiques du bien nommé Baise-Moi huit ans plus tôt. Ici, pourtant, rien de sexuel, juste une virulente forme de violence filmée sans concession et qui érige le genre à son paroxysme grâce à deux fabuleuses comédiennes incarnées et en état de grâce.
Brièvement, Martyrs ne s'explique pas, il se ressent. Peu importe si le message final, dit "philosophique", fait preuve de pertinence ou pas. L'expérience cinématographique (car cela en est une) est simplement assénée avec une brutalité inouïe par un cinéaste intègre qui a spontanément eu besoin d'exprimer son chaos émotionnel par simple catharsis. À nous de choisir de l'accompagner (ou pas) jusqu'aux tréfonds de la noirceur humaine, quitte à en être inconditionnellement perturbé.es.
Avec un Xavier Dolan tout jeunot qui se fait dézinguer au fusil de chasse, une maison bardée de sombres couloirs et hantée d'esprits où traumatismes et sévices s'interpellent perpétuellement au seul nom du mal, une société secrète et bourgeoise qui flippe grave sa race face à la mort et une sacrifiée jusqu'au-boutiste passionnément amoureuse de son amie d'enfance, Pascal Laugier crée le plus controversé des films d'horreur français. Dotée d'une violence réellement insoutenable jamais désamorcée par une quelconque once de second degré, l’œuvre déborde amplement du cadre de la cinématographie conventionnelle pour s’immiscer dans un autre espace... celui qu'on appelle de l'art.