En 1974, Tobe Hooper a réussi un des plus grands tours de force de l’histoire du cinéma d’horreur avec son hystérique « Massacre à la tronçonneuse » qui traumatisera les générations et deviendra la pierre angulaire du survival. De son grain d’image poisseux soulignant la démence globale du métrage à l’ambiance sonore rythmée par l’air strident de la tronçonneuse et les hurlements d’effroi de sa scream-queen Marilyn Burns, Hooper incarne une génération désillusionnée ou le Texas dessine les maux de la marginalisation d’une partie de la société délaissée par l’industrialisation.


Interdit d’exploitation dans de nombreux pays pendant plusieurs années, le caractère malsain de « Massacre à la tronçonneuse » est accentué par la chaleur moite qui s'en dégage, illustrant ainsi le fantasme anxiogène de ce pays sauvage. En effet, le bouillonnement caniculaire qui frappe la région y est omniprésent et confère au métrage une dimension surréaliste et déformée non sans rappeler les sentiments ressentis à la vision de l’excellentissime « Réveil dans la terreur » de Ted Kotcheff. Les couleurs criardes agissent sur l’inconscient et l’alchimie globale de la mise en scène donne l’impression continue de sentir l’odeur pestilentielle qui se dégage des routes poussiéreuses de la localité.


Inspiré par le profanateur de tombe Ed Gein, Leatherface est devenu instantanément une figure emblématique du cinéma de genre. De torturé à tortionnaire il n’y a qu’un pas et le boucher, en véritable force de la nature, est l’illustration de cette complexité. Au ban de la société, il représente, avec sa famille, l’individu sacrifié sur l’autel du capitalisme. Une génération tourmentée témoin d’une époque révolue et qui, vivant à l'écart de la civilisation, se rapproche de l’état sauvage avec tout ce que cela peut comprendre de décadence et de consanguinité. Cette violence sociétale engendre une réaction brutale et sans concession signe des stigmates d’une colère immense. La famille, dirigée par un inquiétant Jim Siedow dans le rôle du sinistre garagiste, s’adonne aux pires exactions en passant par la torture, la mutilation, le meurtre et le cannibalisme. Plus encore que les autres, Leatherface représente la souffrance sociale du fait de son handicap et de troubles de la personnalité qu’il tente d’exorciser par une obsession dévorante dans la confection de masque fabriqué à base des visages de ses victimes.


Hooper a l’intelligence de continuellement suggérer sa violence incitant ainsi notre subconscient à imaginer et ressentir la douleur infligée à un groupe de jeunes amis voyageant dans la région. Une dimension sensitive donc qui s’imprime dans les rétines comme si le détail de la scène était gravé sur pellicule. Une mythologie populaire affuble « Massacre à la tronçonneuse » d’une étiquette de gore totalement usurpée. La violence morale du propos se veut renforcée par de subtiles notes d’humour détournant les codes de la pop-culture de l’époque. Ainsi, en grand fan de Tex Avery, certaines scènes versent dans le burlesque comme en témoigne la poursuite effrénée entre Gunnar Hansen et Marilyn Burns directement inspirée des travaux du créateur de Bugs Bunny. Les styles s’entremêlent ainsi savamment, oscillant entre documentaire réalité et fantasmagorie hallucinée, emmenant le métrage beaucoup plus loin que la critique sociale ou le simple film de genre.


Tourné en 16mm et dans des conditions extrêmes, « Massacre à la tronçonneuse » est devenu instantanément culte et imposera son réalisateur dans l’histoire du cinéma. Plus encore que la censure, le tournage contribuera également au mythe entourant le film. Tobe Hooper poussa son casting jusqu’à l’hystérie collective, le soumettant aux odeurs pestilentielles du sang et des boyaux d’animaux en décomposition accélérée par la température caniculaire du Texas. Une obsession morbide de réalisme qui gravera les différentes palettes émotionnelles dans la mémoire collective de par leur saisissante sincérité. Malheureusement, le cinéaste n'arrivera jamais à s'émanciper de la puissance évocatrice de cet immense chef d'oeuvre malgré quelques petites productions sympathiques comme « Le crocodile de la mort » ou « Massacres dans le train fantôme ».

DBH
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le 24 août 2017

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