Pas de suite, pas de remake, pas de préquelle, « Texas Chainsaw Massacre » s’inscrit dans cette mode du requelle, ou « faire du neuf avec du vieux », nouveau mot d’ordre au cœur d’une production hollywoodienne de plus en plus perdue. Cette énième incursion dans l’univers de Leatherface est distribuée par Netflix, ce qui laisse forcément espérer une œuvre sans concessions. Derrière ce projet se trouvent Fede Alvarez et Rodo Sayagues, le duo à l’origine de l’excellent remake « Evil Dead » (qui lui aussi avait perdu le « The » de son titre), et du non moins excellent « Don’t Breathe » (dont il n’existe pas de suite, inutile d’insister). Le film est également produit par Kim Henkel, scénariste de l’original et réalisateur du quatrième volet, ce qui fait de ce « Texas Chainsaw Massacre » une suite canon.
Le récit prend place dans la même timeline que le premier film, mais semble snober les événements de « Texas Chainsaw » (2013), septième entrée de la saga, qui reprenait directement à la fin du premier. Leatherface est vieux et un personnage de l’original revient : puisqu’il n’y avait qu’une survivante, pas de surprise, c’est Sally, qui du haut de ses 75 ans s’avère particulièrement bad ass. Le métrage de David Blue Garcia s’inspire ainsi grandement du revival « Halloween » et le retour de Jamie Lee Curtis, pour essayer de satisfaire les admirateurs de la première heure. Cette vaine tentative essaye aussi de toucher un nouveau public, plus jeune, par la présence d’influenceurs venus découvrir le Texas, comme on part visiter le dernier Apple Store.
Sur le papier l’idée s’avère excellente, en favorisant un choc des générations, entre le vieux Leatherface, qui vit comme au XIXe siècle, et des jeunes du XXIe siècle. Il y avait la possibilité d’offrir une fine et censée réflexion autour d’une société de consommation qui file à toute vitesse. La vacuité de la fonction d’influenceur permettait aussi un axe réflexif, ou bien même encore le matérialisme illusoire dans lequel la société consumériste pousse chacun d’entre nous. À une époque, l’horreur servait de catalyseur à des cinéastes révoltés, pour mettre en exergue les dysfonctionnements du monde, à l’instar de « The Texas Chainsaw Massacre » en 1974. Le film de Hooper correspondait à un état des lieux frissonnant d’une Amérique provinciale laissée à l’abandon. Ici, il n’en est rien.
Le film ne prend jamais de risque, que ce soit dans un potentiel message, ou même dans son jeu de massacre. S’il y a bien quelques séquences très gores, et pour le coup très réussies, elles ne reproduisent pas l’exploit du premier film. En ne montrant rien, ce dernier s’était quand même vu interdit dans de nombreux pays pour son extrême violence. Ici, le potentiel à portée n’est absolument jamais exploité. Même l’aubaine d’un massacre dans un car (un endroit clos donc) se révèle totalement brouillonne et terriblement lambda. Ça passe sans procurer de dégoût ni de frissons, pas même le rire, qui est l’une des composantes du gore décomplexé, à défaut d’un gore engagé. Il y avait ici matière à reproduire une séquence digne de l’acte final de « Braindead », mais ça ne fonctionne pas.
David Blue Green, dont c’est la seconde réalisation, livre une mise en scène particulièrement plate, qui ne rend jamais hommage à l’icône Leatherface, ni même aux personnages qui cherchent à survivre. Ces derniers, font d’ailleurs preuve d’un instinct de survie particulièrement mauvais, qui laisse interrogateur sur le fait de savoir comment ils ont pu survivre aussi longtemps au quotidien. Le film se contente d’enchainer des plans lambda sans saveur, en essayant d’y insuffler un vague suspens, sur un mode flemmard, et une esthétique faussement authentique. C’est bien là ce qui caractérise cette neuvième incursion dans la saga de l’homme au visage en peau humaine : le strict minimum.
C’est vraiment frustrant, car tout était réuni pour proposer une œuvre horrifique ultime, sans contraintes de la censure, pouvant lâcher la bride du gore, de la vulgarité, du fun et du politiquement incorrect. Or, le film ne sait jamais quel ton adopter ni quel propos aborder, et au final il brasse trente-six mille trucs un peu partout, sans s’arrêter sur un axe clair et défini. Il en résulte un récit décousu, au cœur d’un scénario mal dégrossi et chiant, et sans surprise le métrage tout entier ne se repose que sur la notoriété de son boogeyman.
La déception demeure d’autant plus importante qu’arrivée au neuvième film, il n’y a plus vraiment d’attente. Surtout que le dernier volet réussi de la saga remonte à son remake de 2004, bientôt vingt ans, ce qui commence à dater. Il n’y a donc plus beaucoup de fans à décevoir, et toute une nouvelle génération à orienter vers l’original. Pourtant, « Texas Chainsaw Massacre » ne tranche jamais (contrairement à Leatherface), et ne propose rien d’autre qu’un spectacle sanglant plat. Rapidement fun, sur deux ou trois séquences, il joue sympathiquement avec des clichés qu’il finit par répéter, par un aveu de non maîtrise totale. Les intentions de cette œuvre demeurent très peu claires, et révélatrices d’un symptôme omniprésent dans le cinéma d’horreur américain depuis une vingtaine d’années : le manque d’originalité.
« Texas Chainsaw Massacre » se regarde sans difficulté, il ne mange pas de pain et se révèle très inoffensif, même s’il essaye de se donner des airs irrévérencieux (toute la promo était axée sur « regardez Leatherface qui massacre des influenceurs, lol. »). En réalité, il n’y a ni agressivité, ni audace, ni conscience de toute la mesure qu’offre un personnage aussi iconique. Les adaptations de ce dernier se résument depuis trop longtemps à sa silhouette vide de sens, uniquement définit par une carrure over-the-top et un niveau mental négatif. Or, ça, ce sont les caractéristiques du personnage dans la diégèse de l’œuvre de 1974.
À bientôt cinquante ans, Leatherface bénéficie d’une aura de boogeyman culte, appelé à devenir l’un de ces monstres contemporains, à l’égal d’un Jason Voorhees ou d’un Freddy Krueger. Pourtant, personne ne semble vouloir prendre le temps de réfléchir davantage cet archétype terrifiant, qui pourrait venir hanter nos cauchemars de ruralité profonde. Ce neuvième massacre à la tronçonneuse s’invite ainsi sur nos écrans, sans créer d’engouement particulier, ni vraiment d’émotion ou de sensation, qui demeurent primordiaux devant un film d’horreur. Une nouvelle tentative qui échoue à rendre hommage à l’œuvre de Tober Hooper, qui cinquante ans après et huit suites, reste inégalée. Moralité : remettez le « The » et revoyez « The Texas Chainsaw Massacre », même dix fois de suite, ce sera moins ennuyant que cette dernière tentative chaotique.
-Stork._