La règle du jeu (spoilers)
Allen entame son film comme un mélodrame (voire comme une comédie romantique) ; un jeune homme, Chris, est tiraillé entre deux femmes, et à travers elles entre un cadre de vie – offert par sa fulgurante ascension sociale – et l'amour, une vie plus simple mais, peut-on penser, plus vraie. C'est donc peu dire que, jusqu'à ce stade, « Match point » dégage une forte odeur de déjà-vu, en restant toutefois un film très agréable – l'élégance constante de la mise en scène et des acteurs séduit (comme l'univers de la haute société séduit le protagoniste) ; mais elle s'avère finalement être à double tranchant. Woody Allen n'est pas naïf, et son héros ne fera pas le « bon choix » (on l'aura finalement « éduqué », comme l'avait prédit Nola, justement incarnée par Scarlett Johansson) ; il se pliera aux règles du jeu social, choisissant l'unique solution lui permettant de préserver son nouveau train de vie.
Dès lors, la noirceur extrême du final permet de porter un nouveau regard sur le film tout entier – lui conférant un cynisme effroyable, devant lequel toutes les envolées romantiques qui avaient jusque là jonché le fil de l'œuvre s'effondrent. Si la scène d'amour pluvieuse dans le champ pouvait toucher par sa dimension naïve (voire cliché) la première fois, elle bouleverse la seconde fois par le désenchantement qu'on anticipe – comme si Allen ne cherchait finalement à émouvoir qu'a posteriori, filmant toujours de manière distanciée au temps présent. Ainsi, Chris fait fougueusement l'amour à Nola dans la première partie du film, et l'abat froidement à son terme. Ce que le cinéaste pointe du doigt de façon si acerbe, ce n'est en définitive pas tant la haute société que l'ascenseur social permettant d'y accéder. On n'a pas pour autant l'impression qu'il décrit les étapes d'une (monstrueuse) métamorphose ; en fait, il s'agit plutôt d'un renversement brutal – celui-là même qui substitue la farce tragique au mélodrame. C'est l'efficacité effrayante d'un film que l'on voudrait beau, et qui se révèle terriblement amer.