Excessif.
Tout dans ce jardin anglais est excessif. La marque de fabrique de Greenaway. Détracteurs, passez votre chemin.
À commencer par les couleurs. Sombres plus que de raison en intérieur puis criardes, bien au-delà des limites du bon goût, en extérieur. Ce grand écart artistique est des plus dérangeant, presque douloureux.
Le travail minutieux du réalisateur sur la lumière est à l'avenant. D'une profonde noirceur - la terrible noirceur de l'âme des protagonistes, vérolés tous autant qu'ils sont - lors des échanges secrets et autres manigances, elle se fait soudain éblouissante quand vient le jour. Le contraste, grossier mais nécessaire, est le fil conducteur du récit.
Les textes ne sont évidemment pas en reste. Caricaturaux à l'extrême, surfaits et ampoulés en toutes circonstances - même les plus intimes - ils alourdissent immanquablement le film, le ralentissent, fatiguent le spectateur par l'attention de tous les instants qu'ils lui imposent.
Mais cette souffrance est la clef du film.
Ce Greenaway, plus que jamais, s'impose à son spectateur et lui dicte sa conduite. Ainsi, la faible luminosité, ces visages que l'on distingue mal, ces plans chargés à l'extrême forcent la concentration. Les yeux grands ouverts, comme devant une toile subtile, on cherche le détail qui nous délivrera, la pierre de rosette de cet imbroglio. L'étude très scolaire d'un des tableaux de la maison par l'artiste est d'ailleurs une amusante mise en abîme de ce point de vue.
Concentre-toi, l'ami, pour saisir avant tout le monde les culpabilités de chacun, les forces qui poussent les protagonistes à agir. Tout est là, sous tes yeux. Mais il va falloir plonger dans le tableau.
Et de tableaux il est question.
L'amour de Greenaway pour l'art pictural n'étant un mystère pour personne, il était inévitable qu'il lui consacre une de ses œuvres. Ainsi, les dessins de l'artiste rythment-ils la trame narrative, se posant en jalons dans sa progression.
La mise en scène est, plus que jamais, imprégnée par la peinture. Bien souvent, la caméra se veut parfaitement fixe - à peine si le réalisateur s'autorise quelques travellings latéraux, symbolisant le regard d'un spectateur qui balaierai des yeux la toile - les seuls mouvements étant de la responsabilité des acteurs. Ces derniers, engoncés dans leurs nobles vêtements comme dans les projets du despote Greenaway, sont avant tout de simples pantins au service d'une divine recherche esthétique. Aucun ne démérite cependant et tous excellent par leur diction et la conviction mise dans l'interprétation de textes particulièrement ardus.
Il faut voir dans ces textes une critique cynique, bien qu'anachronique, des milieux bourgeois. Toujours d'actualité. Car si les mœurs ont évolué, les membres des hautes sphères se plaisent toujours à noyer la vérité brute sous une masse de convenances bienvenues. L'artiste novateur, débarquant comme un cheveu sur la soupe armé de ces idées arrêtées, de sa conception indiscutable du dessin et de son franc-parler peut alors être vu comme l'alter ego douteux de Greenaway, revendiquant par là son émancipation artistique et sa liberté créatrice.
Fidèle à lui-même, Greenaway livre un film dérangeant mais passionnant. L'intrigue, bien que simpliste, tient en haleine et condamne le spectateur à une grande concentration. Impossible alors de passer à côté de l'incroyable place concédée à l'esthétisme et des magnifiques plans engendrés.
Certains fuiront ce film comme la peste, d'autres lui voueront peut-être un culte. Le lot des films de caractère.