Le cinéma transalpin me cueille une nouvelle fois. Il avait fait pleurer tout Cannes l'an passé lors de sa projection en compétition - je rejoins, bouleversée, le cortège lacrymal. Après les Paolo - Sorrentino et Virzi - c'est au tour de Nanni de faire battre mon coeur. Je préfère dire tout de suite l'unique réserve qui fut la mienne dans ce magique Mia Madre : un très léger ennui, par instants. J'ai songé au cinéma de Stéphane Brizé, maestro des silences et des regards au loin, orchestrateur de ces minutes contemplatives et lentes où le personnage est tout entier tourné vers son intériorité et qui peuvent égarer l'attention du spectateur. Pour l'un comme l'autre réalisateur, ces moments sont pourtant cruciaux dans la construction de la dramaturgie intime, dans la progressive ascension de l'émotion.
Mia Madre nous plonge dans le quotidien d'une réalisatrice, Margherita qui, en plein tournage de son prochain film (un cinéma sur fond de crise sociale) doit affronter la maladie de sa mère et la mort qui rôde. Aux côtés de son frère - incarné par Moretti - cette battante habituée à tout contrôler va devoir apprendre à accepter le lâcher prise et les questions sans réponse.
Le quatrième mur brisé - nous assistons au tournage d'un film dans le film - est l'occasion de perdre le spectateur qui ne sait plus, par moments, si ce qu'il regarde est du cinéma ou la vraie vie (ou de la vraie vie au cinéma !). A ce titre, la mise en scène est particulièrement réussie, qui nous fait passer d'un milieu à un autre de façon fluide et subtile, en déconstruisant nos repères habituels.
J'ai trouvé ce film particulièrement brillant à bien des égards. Le jeu tout en retenue pudique des acteurs, sans jamais la moindre fausse note, la moindre émotion surjouée, est une évidence. Mais j'ai surtout goûté la profondeur de la réflexion existentielle qui file les deux pans de l'oeuvre : l'art peut-il réenchanter le réel ? Est-il cette bouée ultime à laquelle se raccrocher quand tout semble se dérober sous nos pieds ? Mia Madre interroge les illusions - sur soi-même, sur ses compétences, sur ce que l'on croyait acquis et qui nous échappe.
Enfin, au chevet de sa mère mourante - poignante Giulia Lazzarini et son regard bienveillant - Margherita se questionne sur la finitude de notre condition, se refuse à accepter l'évidence, puis comprend, grâce aux témoignages de tous ceux qui ont aimé sa mère, que nous sommes finalement bien plus que cette enveloppe qui s'éteint, et que le souvenir que nous laissons nous offre comme une seconde vie.
Les passages autour du latin - et la rare beauté d'entendre sonner cette si belle langue morte - sont d'une intelligence lumineuse et interrogent l'héritage, la langue, la transmission du savoir comme une immémoriale sagesse. Tout ces éléments m'ont profondément bouleversée, d'autant que ces thématiques font étrangement écho à un très beau livre de Philippe Claudel que je viens de refermer et qui aborde avec délicatesse la mort et la trace que l'on laisse.
J'ai aimé ce duo frère/soeur qui s'épaule dans la perte, l'évolution subtile de Margherita et ses remises en question, l'épaisseur psychologique des personnages, la mélancolie des accords d'Arvo Pärt, la tonalité à la fois drôle et douce-amère, le tableau des difficultés quotidiennes de la vie et le séisme des drames intimes, l'importance de la famille et des coudes serrés par gros temps... Les acteurs sont particulièrement bien mis en lumière, les regards s'éclairent, les gestes sont mesurés, les sourires se font émus : impossible - surhumain - de ne pas verser une larme sur une si banale et universelle tragédie.
Un film d'une intelligence, d'une profondeur et d'une humanité comme on en voit rarement.
N'ayons pas peur des mots : Mia Madre est un chef-d'oeuvre.