La modernité au cinéma est une notion difficile à définir, mais on peut cependant qualifier Mia Madre de film moderne, au sens antonionien et fellinien du terme (d’ailleurs eux-mêmes cités par Huggins dans le film), Moretti s’inscrivant donc dans la lignée de ses illustres prédécesseurs. En effet, même s’il est compliqué de déterminer précisément ce qu’est un film moderne, une des caractéristiques serait de montrer la réalité telle qu’elle est, c'est-à-dire opaque et insaisissable. Dans Mia Madre, la réalité, c’est la maladie, c’est la complexité des rapports humains, c’est l’incertitude face à l’avenir. Les personnages de ces films sont souvent montrés errants dans des lieux qui ne leurs sont pas familiers, à l’instar de Margherita, qui est perdue au milieu de l’hôpital où sa mère est prise en charge, au milieu de l’usine où se déroule son film, et même au milieu du tournage, lieu où elle devrait pourtant se sentir à l’aise, elle apparaît complètement dépassée. Tout se brouille, les temporalités se mélangent, la frontière entre présent et souvenirs, entre réel et imaginaire est souvent floue, autre aspect récurrent du cinéma moderne.
Une dernière caractéristique serait celle du cinéma réflexif, c'est-à-dire le film dans un film : en dévoilant le processus créatif, on nous invite à réfléchir sur l’essence même du cinéma. Ici, par les aspects autobiographiques du film, on a une mise en abyme du réalisateur lui-même. En se choisissant un alter ego dans le personnage de Margherita (procédé souvent utilisé par les réalisateurs de la Nouvelle Vague, à la même époque que la modernité), il nous transmet de manière sincère ses doutes, ses envies, et permet de traiter en filigrane d’un sujet qui doit lui tenir à cœur, soit la lutte d’ouvriers pour leur usine.
Là où le cinéma moderne cherchait plutôt la distanciation entre les personnages et le spectateur, Moretti crée au contraire un lien, et l’universalité du propos permet l’identification. Ce lien est renforcé par l’interprétation très juste des acteurs, notamment Ada, bouleversante dans son rôle de femme âgée terrifiée par la mort, et la touche burlesque apportée par Huggins permet d’alléger le ton.
Moretti se revendique à juste titre d’une certaine tradition cinématographique italienne, dont il perpétue les codes tout en y insufflant une touche personnelle. Après tout on est toujours le moderne de quelqu’un.
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