Le sacre de l'été
Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...
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le 3 août 2019
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Encore inconnu il y a un an, Ari Aster a agréablement surpris tout le monde (ou presque) l’année dernière avec Hérédité, un film d’horreur paranormal avec une histoire certes un peu banale mais compensée par une atmosphère très efficace, une superbe mise en scène et des acteurs parfaitement dirigés. De retour avec Midsommar, son second long-métrage, le cinéaste nous propose cette fois-ci un véritable enfer lumineux.
Attention cette critique comporte des spoilers…
Tout comme Hérédité, Midsommar possède lui aussi un scénario assez classique qui ne réinvente pas grand chose. Par ailleurs, le réalisateur aborde encore une fois le thème du deuil à travers l'histoire tragique du personnage principal, ce qui va néanmoins permettre de vite s'attacher à ce dernier. Le thème du culte et des rituels est lui aussi de nouveau traité mais de manière beaucoup plus approfondie qu'Hérédité, notamment grâce à la notion de sacrifice donc peu de spectateurs ressentiront un effet de redondance par rapport au travail de Aster sur ce sujet. Grâce aux personnages qui sont en partie des étudiants-chercheurs en anthropologie, le film nous propose enfin un travail ethnographique fictif plutôt bien exploité et permet dans une moindre mesure d'aborder un dernier thème absent de la précédente oeuvre du réalisateur, il s'agit de l’ethnocentrisme. Nous découvrons en effet les us et coutumes de la communauté qui vont surprendre, interloquer, fasciner ou encore choquer les protagonistes (le mode vie totalement collectif de la population, leurs croyances païennes, la reproduction et la vie intime, la répartition des tâches entre hommes et femmes, leur philosophie du cycle de vie, la géronticidie, les différentes célébrations). On constatera que ces différentes thématiques sont parfaitement liées entre elles et permettent de délivrer le véritable propos du film, un propos non manichéen : Dani a perdu toute sa famille, elle est désespérée et ne se sent pas soutenue par la seule personne qu'il lui reste face à cette perte, elle est incapable de faire son deuil. La communauté a un mode de vie très différent de ce que connait Dani mais c'est auprès d'elle que la jeune femme trouvera du réconfort car malgré les rituels et sacrifices mortels et sanglants, ces gens ont en effet pour coutume principale de tout partager que ce soit la joie, le plaisir, la douleur ou la peine. Dani s'est donc trouvé une famille d'adoption, des personnes avec qui elle pourra partager sa souffrance. C'est comme ça que j'ai interprété la satisfaction sur le visage du personnage à la fin qui selon moi n'est pas liée à sa vengeance face à l’infidélité de son compagnon (d'ailleurs n'était-ce pas plutôt une vengeance face à son absence de soutient depuis le début ?). Quoi qu'il en soit le film est très intéressant à analyser au final. Le scénario reste néanmoins trop prévisible, il ne se focalise pas suffisamment sur l'horreur, est composé de sous-intrigues parfois ennuyantes et présente des personnages secondaires peu utiles, c'est dommage.
Malgré la simplicité de l’histoire, la réalisation de Ari Aster permet à elle seule d’obtenir un résultat non dépourvu d’originalité. Cela concerne l’ambiance dont je parlerai plus tard ; ça concerne également le côté technique du film puisqu’il y a une véritable signature visuelle avec des décors magnifiques ainsi que des effets spéciaux qui donnent parfois le tournis, presque le sentiment d’avoir été drogué au même titre que les personnages (la sensation est un peu la même que celle créée par la photo et la bande son du film Climax de Gaspar Noé, en plus solf tout de même). Peu de gens le savent, mais le jour polaire qui correspond à une période de l’année au cours de laquelle le soleil ne se couche quasiment pas est un phénomène réel et commun dans certaines régions des pays nordiques, de ce côté là Midsommar n’a rien inventé ; mais étant donné le long-métrage place son cadre durant ces solstices d’été, cela fait de lui un des films d’épouvante les plus lumineux au monde et c’est plutôt original. Du coup on se retrouve avec un film magnifique dans la forme et horrible dans le fond (sauf si on se place le curseur de l’ethnocentrisme en faveur de cette communauté) ; éclairé et brillant visuellement mais sombre de par les horreurs qu’il nous montre.
Grâce à sa thématique sur le deuil, on constate que Midsommar n’est pas qu’un film d’épouvante, c’est aussi un véritable drame. Ce mélange de drame et d’horreur donne naissance à une ambiance assez pesante voire très déstabilisante lorsqu’elle est complétée par certains types de scènes. Midsommar est en effet composé de séquences bien gores et violentes et de moments vraiment étranges, parfois sexuels ; c’est donc un long-métrage assez costaud, à déconseiller aux âmes sensibles (il est même surprenant que le remake de Suspiria ait été interdit aux moins de 16 ans pour sa nudité et deux scènes gores alors que Midsommar qui est bien pire a été interdit qu’aux moins de 12 ans) . J’ajouterai que la bande originale se marie très bien avec le climat du film. Il en revanche dommage que l’effectivité de cette atmosphère soit parfois freinée par des scènes trop longues ou mal rythmées ; quelques fois on a effectivement l’impression d’assister à un docufiction sur le paganisme. Etant donné que le film démarre assez fort, j’aurais également aimé voir une fin encore plus décadente et démonstrative niveau horreur, un peu dans le style Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini ; mais en regardant le film d’un œil objectif je me rends compte que sa fin (qui reste terrible et perturbante) convient bien à son propos et à la notion de sacrifice.
Enfin, à l’instar de Toni Colette dans le précédent film de Ari Aster, Florence Pugh est totalement crédible dans le rôle principal. Cette nouvelle étoile montante d’Hollywood nous montre tout son talent en simulant des émotions diverses telles que le désespoir, la frustration, la colère, l’état de choc, la joie ou encore le soulagement qu’elle parvient à enchaîner avec une étonnante facilité. C’est une actrice à suivre.
Midsommar est une expérience assez déroutante… c’est un peu le même cas que The Neon Demon, Mother!, Climax ou Suspiria (2018), le type de film que l’on peut adorer comme détester, où chacun a besoin de se faire sa propre opinion. Quoi qu’il en soit les efforts dans la mise en scène, l’originalité du visuel et la performance de Florence Pugh sont des points qui devraient mettre pas mal de personnes sur la même longueur d’onde.
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Créée
le 12 août 2019
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