Le sacre de l'été
Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...
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le 3 août 2019
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Cette critique pourrait vous dévoiler des éléments de la conclusion d'Hérédité et du scénario de Midsommar.
Hérédité laissait déjà entrevoir comme principale thématique du cinéma d'Ari Aster les rites cruels liés à des sectes aux pratiques peu catholiques. Là où l'action de son premier long-métrage s'axait plus sur l'antéchrist et ses disciples, celui-ci figurera comme un exercice de style pour le réalisateur, dont la tâche, ardue, sera d'à la fois développer la culture d'une communauté nordique marginale et de les mettre en scène dans un contexte aux antipodes de ce qu'il nous avait précédemment proposé.
Là où Hérédité donnait lieu à des moments de tension en huis clos, parfois de nuit, Midsommar prendra le chemin inverse en plaçant ses protagonistes dans un lieu de vie gigantesque illuminé par le Solstice d’Été : la peur, loin de venir uniquement des intérieurs, prendra ses bases sur une vaste plaine séparée du reste du monde par une forêt dense, et c'est en se réfugiant dans des baraquements que la sécurité semblera venir en premiers lieux (avant de disparaître entièrement, et progressivement, de ces lieux de pèlerinage).
Le grand talent d'Aster, tout comme Kransinski tenta de le faire en jouant sur la perception du son dans Sans un bruit, est de prendre à revers les habituelles situations horrifiques basées sur le manque de lumière et les angles de vue dissimulateurs pour créer une atmosphère de tension en privilégiant les plans larges sur des paysages superbes et divinement éclairés, sans négliger bien sûr ses quelques scènes de terreur intérieure.
La claustrophobie naît justement de son rythme décalé de la production actuelle : loin d'épouser les jumspcares et l'action perpétuelle de la plupart des productions horrifiques (chose qu'il entreprenait très bien avec Hérédité), il joue sur la patience du spectateur en prenant bien son temps pour placer son intrigue, développer ses personnages et enrichir ses thématiques de ce ressenti de fatigue ambiante, sur la fin d'exténuation que le spectateur pourrait presque palper.
C'est ainsi qu'il lui fait ressentir ce que vivent ses protagonistes; en déboussolant par l'action située de jour, il réussit là où Krasinski avait échoué en poussant le concept à son paroxysme : le temps, étiré jusqu'à l'étouffement, trouve difficilement une logique chronologique et aide à développer un profond sentiment de malaise, presque de paranoïa, qui fait irrémédiablement penser à la réussite émotionnelle du très intense Body Snatchers de Philip Kaufman.
Le dépaysement est d'autant plus grand qu'il propulse le spectateur dans une culture qu'il ne connaît pas (pour le grand public) au travers du personnage principal, Florence Pugh placée comme vecteur d'approche. Elle que personne ne soutient, pas même son copain, incarne une partie de la société rejetée : ceux un peu bizarre dont on aime se moquer amicalement, qu'on sous-estime à longueur de temps, qu'on laisse sur le carreau pour écrire la Grande Histoire construit ici l'intrigue en devenant finalement le pont entre la culture du monde moderne et de cette secte ancestrale.
C'est en abandonnant une civilisation qui ne la comprend pas qu'elle trouve un sens à sa vie : jusqu'ici menée par son petit-ami, méprisée par ses compagnons thésards, elle incarne cette "lie" de l'humanité en quête de revanche, ces laissés-pour-compte rarement représentés de façon si réelle et juste sur les grands écrans qui trouvent ici une raison d'avancer, et deviennent malgré eux les grands noms de l'histoire.
Cette destinée inattendue (devenir un idéal, une figure quasi divine) construit une idéalisation faîte d'humilité et d'une revanche bien méritée : en prenant le parti des maltraités, des personnalités fragiles car écrasées sous le poids de la popularité des figures idéales de la société dites civilisée, Ari Aster rejette de toute évidence le stéréotype occidental, beau et compétitif, donc performant physiquement et intellectuellement, au profit d'un retour à la nature salvateur pour celui qui ne rentrerait pas simultanément dans ces deux cases.
Il l'imagera d'ailleurs en représentant les thésards comme des "amis" incapables d'avoir confiance les uns envers les autres lorsque surviendra le sujet de leur voyage, la thèse qu'ils devront faire, soit lorsque reviendra sur le devant de la table leur véritable nature : l'irrespect, l'égoïsme, un individualisme ayant pour vocation de dominer l'autre sans aucune pitié.
Comment éprouver une grande empathie face à ceux qui ne respectent pas les coutumes ancestrales d'un peuple traditionnel, ni même la nature qui les entoure? Outre le retour à la nature de cet Homme qui a perdu son instinct animal à trop se pervertir en ville (notamment dans la quête d'une situation haut-placée), on relève aussi un paradoxe moral amené par l'identification que le spectateur se fait au personnage principal.
Propulsé dans l'intrigue et ressorti du film par deux grands évènements de la vie de Dani (profonde Florence Pugh), il s'identifiera à elle au point de souhaiter la punition de son compagnon psychologiquement maltraitant, entrant dès lors en conflit avec ses propres valeurs : comment cautionner le meurtre, l'ultraviolence d'une culture en appréciant cependant de suivre le rétablissement de l'ordre naturel des choses? Et comment d'un autre côté cracher sur une culture ancestrale, largement plus ancienne que la société moderne présentée dans le film, sous prétexte de se croire plus évolués, plus humains, finalement moins cruels avec tous les excès nés de notre mode de vie?
C'est là qu'est le grand talent d'Ari Aster : en plus de nous présenter un travail visuel digne de toiles de grands maîtres et de cadrage des plus grands films (l'inspiration de Kubrick saute encore aux yeux), le réalisateur/scénariste propose un travail de fond où la réalité se mêle au virtuel, questionnant à la fois sur le rapport à la lumière, au rythme et plus largement à la chronologie de l'action dans les films d'horreur, et laissant en tête une réflexion d'ouverture à l'autre habilement proposée, jamais évoquée de façon moralisatrice, soit suffisamment bien sous-entendue pour mener le spectateur à réfléchir non pas sur le film en lui-même, mais bien sur sa propre vie et son rapport au monde.
8,5/10
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Créée
le 10 févr. 2020
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