A.S. : Je n'ai pas encore lu les ouvrages de Larsson au moment de la découverte du film ni vu les adaptations suédoises de l'œuvre originale
A.S. bis : Attention, cette critique contient des révélations sur certains éléments de l'intrigue.
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Une vengeance trop prompte n'est plus une vengeance ; c'est une riposte.
C'est ce qu'écrivait Henry de Montherlant en 1946, date à laquelle fut publiée Malatesta, une pièce en quatre actes retraçant les mésaventures du chef de guerre et poète Sigismond Malatesta et dont est tirée cette maxime.
S'il est bien, d'après ma propre expérience sensible du métrage, deux thématiques qui resurgissent de Millénium : les hommes qui n'aimaient pas les femmes, ce sont belles et bien la quête de vengeance qui anime Lisbeth (Rooney Mara) que l'on pourrait coupler aux relations hommes-femmes antagonistes que nous offre à voir le film.
Thriller policier adapté du tome 1 de la série à succès de Stieg Larsson, Millénium : les hommes qui n'aimaient pas les femmes est un long-métrage suédo-norvégien et américain sorti en 2011 et réalisé par David Fincher.
Porté par une distribution bien fournie faite, entre autres, de Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer, Robin Wright et Stellan Skarsgård, l'œuvre de Fincher nécessitera près de deux heures et demie de votre temps pour être appréciée.
Or, en effet, parmi la pléthore de sujets abordés, la vengeance et les relations hommes-femmes sont ceux qui m'ont paru les plus prégnants. Le viol, la famille, l'opinion publique, le racisme ou encore la différence sont autant de thèmes que le film traite avec plus ou moins de réussite et qui en façonnent l'identité.
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Justement, l'identité du film ne saurait être mieux affirmée et augurée que par ce que Fincher nous offre comme introduction à celui-ci : un générique comme il sait si bien les ficeler (cf. Seven ; Panic Room). Ce dernier opère un choix esthétique très marqué avec ce ton noir, vif et brutal qui permet de faire entrer immédiatement le spectateur dans une ambiance sombre et inquiétante, qui imprégnera le restant du long-métrage. Il montre un fluide noir et huileux se répandre autour d'humanoïdes et de leurs membres, d'un clavier d'ordinateur et de ses câbles, d'un germe de fleur et de l'abeille prête à le butiner. Tous s'en retrouvent aspergés et envahis, de telle sorte que les anthropoïdes semblent en agoniser, comme en témoignent leurs hurlements stridents. Prélude macabre à un film qui, d'aucune façon, ne trahira les attentes instillées chez le spectateur par ledit générique, ce clip présente une reprise féminine (par Karen O) très industrielle du morceau mythique Immigrant Song de Led Zeppelin. Qui plus est, Trent Reznor (Nine Inch Nails) et Tim Miller sont respectivement à la composition musicale et à l'animation visuelle de cet exorde noirâtre.
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Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé le film. Si ce dernier n'est pas exempt de tout reproche, il demeure malgré tout en son sein une certaine maîtrise, caractéristique du cinéma de Fincher. Tant pour son rythme que pour ses personnages, son ambiance sonore ou encore son intrigue, le film est parvenu à me charmer pendant plus de deux heures qui ne m'ont pourtant pas paru si longues. Quelques scènes en particulier ont retenu mon attention. Il sera ici question d'en relever tout l'intérêt, celui dont Fincher les a imprégnées.
Tout d'abord, la scène du viol. Parlons-en. Évidemment, cet épisode permet de créer une relation d'empathie entre le spectateur et le personnage de Lisbeth.
On l'accompagne durant le supplice qu'elle endure et c'est une véritable épreuve audiovisuelle pour nous que de rester de marbre face à cette scène d'une impitoyable cruauté.
Mais, là où réside le mérite tout particulier de Fincher, c'est dans sa capacité à mettre en scène un moment d'une violence telle qu'il justifie à lui seul le sous-titre du film (« Les hommes qui n'aimaient pas les femmes ») et qu'il fait naître en nous un élan de pitié d'une rare expressivité. En effet, la scène est brillante pour le réalisme avec lequel elle dépeint l'atrocité dont l'Homme se rend quelquefois coupable mais le viol, dans tout ce qu'il a d'immonde d'un point de vue extracinématographique, donne néanmoins ici, de par les talents de mise en scène dont Fincher fait montre, une séquence tout à fait esthésique tant les cris entremêlés de haine et de douleur que pousse la victime résonnent jusqu'à nous faire enrager de commisération à l'égard de sa condition.
Et, c'est par l'exercice difficile de la scène de viol que Fincher dresse dans Millénium : les hommes qui n'aimaient pas les femmes un nouvel aspect du portrait qu'il fait des relations hommes-femmes à travers son œuvre. Dans Seven, la femme du Détective Mills (Brad Pitt) symbolisait l'avant-dernier des sept péchés capitaux (la jalousie) que s'était engagé à punir John Doe (Kevin Spacey) et le point faible de l'homme et futur père de famille qu'eût été David Mills dans d'autres circonstances scénaristiques. À l'inverse, dans Gone Girl, Fincher analysera les relations hommes-femmes sous le prisme du mariage. Il passera celui-ci à la loupe et le portrait qu'il en fera ne sera pas des plus reluisants. Amy (Rosamund Pike) essaiera tout du long de se venger de l'infidélité de son mari, allant jusqu'à le faire passer pour coupable de son propre assassinat qu'elle aura savamment orchestré et rendu crédible aux yeux de l'opinion publique. Or, dans Millénium, c'est aussi la vengeance qui préfigure aux rapports hommes-femmes. Bien que Mikael et Lisbeth - dans la grande complicité qui est la leur et qui s'illustre à l'écran - aient une aventure touchante, je ne l'ai personnellement pas trouvée suffisamment approfondie pour qu'elle représente à mes yeux le déterminant premier de l'image des rapports entre hommes et femmes qui transparaît dans le film. De la même façon, je trouve que le personnage de Mikael Blomkvist est trop en retrait et qu'il ne présente pas de singularité dans son écriture qui le rendrait plus attachant. Ce sont là deux défauts du film de mon point de vue. Mais, pour en revenir à cette histoire de vengeance, je dirais que celle-ci traverse le parcours de notre protagoniste : Lisbeth Salander.
Après le chantage et le viol que Bjurman (Yorick van Wageningen) lui inflige, Lisbeth va se livrer à une quête de rédemption vis-à-vis d'elle-même et de ce qu'elle a enduré en humiliant son bourreau puis en aidant Blomkvist à retrouver le violeur et tueur de fillettes autour duquel l'enquête se concentre.
Enfin, ce sont aussi les multiples scènes d'investigation où Mikael Blomkvist (Daniel Craig) cherche à élucider le mystère de la disparition d'Harriet qui m'ont frappé. Ce sont autant d'occasions pour Daniel Craig de nous rappeler ses talents d'interprétation et pour le cinéaste de prouver sa maîtrise du découpage et du montage. Il y induit une suite de réflexions et de conclusions qui façonnent un raisonnement mental menant vers la résolution progressive et ainsi crédible du mystère qui porte l'intrigue. L'environnement fait de nazisme ambiant et de meurtres en série confère à cette enquête une véritable teneur sinistre et oppressante qui laisse le spectateur en effroi et investit d'authenticité historique le récit.
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Pour conclure, la résolution de l'enquête ne baigne pas dans l'allégresse, comme c'était le cas dans Seven et Zodiac. Certes, le criminel ne nuira plus mais le mal n'a pu être coupé à la racine en ce que l'idéologie qui y a conduit subsiste encore, péniblement mais sûrement, comme en témoignent les goûts douteux d'Harald Vanger (Per Myrberg) en matière de décoration intérieure.