Miséricorde, ou mon premier Guiraudie... Et sûrement mon dernier.
La rencontre aurait pu se faire il y a onze ans, avec l'Inconnu du lac. L'affiche m'avait interpellé, le postulat du film aussi – un peu à la façon de ce Miséricorde d'ailleurs – mais à chaque fois le visionnage de leurs bandes annonces respectives avaient su tuer dans l'œuf tout désir. Pourtant, cette fois-ci j'ai pris la peine d'aller au-delà de mes réticences ; j'ai suivi les quelques recommandations qu'on m'a faites. Je n'aurais peut-être pas dû.
C'est terrible mais, dès le générique, j'ai tiqué. Simplement des noms qui s'affichent sur fond de route qui défile ; route filmée en plan-séquence à travers un pare-brise. pas grand-chose donc et pourtant déjà tellement de choses de dites sur ce qu'allait être le cinéma de Guiraudie.
L'image saccade, beaucoup. Le son, manifestement pris en direct, sature et bourdonne comme jamais. Reflet dans le pare-brise. Perte brutale de netteté dans les virages. Tout ça m'interroge.
Je veux bien qu'on puisse chercher un rendu naturaliste, mais le naturalisme ce n'est pas ça. La perte de netteté c'est un problème de choix de framerate de caméra, ce n'est pas ce que je vois en vrai, du moins ce n'est pas ce que je crois percevoir. Même chose pour les saturations de son. Même chose pour les vibrations, les reflets de pare-brise dégueulasse : tout ça ne se ressent pas et ne se perçoit pas comme ça. Idem pour l'absence de mise au point à la fin de chaque virage...
C'est con mais moi, face à ça, je n'ai pas pu m'empêcher de me faire la remarque suivante : à quel moment tu es cinéaste et tu te dis que, ça, ça passe ? A quel moment tu te dis que ça ne pouvait pas être plus pertinent de refaire le bruit de la voiture en post-prod ? Pourquoi tu ne te dis pas qu'il serait peut-être plus perspicace de prendre un type de caméra plus adapté pour filmer l'entrée dans le village ? Et puis même, pourquoi ne pas faire le choix d'interrompre le plan séquence à l'entrée du village puisque tu te doutes qu'à partir de ce moment-là, sans précaution technique particulière, le rendu risque d'être dégueulasse ?
Pourquoi ?
Dès le départ la réponse m'est apparue évidente : parce que Guiraudie est le genre de type qui s'en fout de ça. Le détail qui tue c'est ce choix de synthés noirs plutôt que blancs pour annoncer les mentions habituelles du générique. Sur fond de ciel bleu, ça a son style. Sitôt tu rentres dans le village que c'est à la limite de l'illisible. Guiraudie change-t-il alors de couleur ? Réfléchis à quand et où faire apparaître les mentions ? Non. C'est fait à la zob. En mode balek. Deux minutes et déjà Guiraudie me dit ce que je craignais déjà. Guiraudie me dit qu'il n'est pas ce genre d'auteur qui est véritablement intéressé par le cinéma au sens global du terme.
Et ça, moi, ça m'a refroidi tout aussi sec.
Alors je vous rassure tout de suite : je ne suis pas en train de vous avouer que je n'ai appréhendé ce Miséricorde qu'à travers ce seul prisme-là. Non. Ce que je dis par contre, c'est qu'en ne considérant que ce seul aspect, j'avais déjà compris beaucoup de choses sur le film que j'allais voir. J'avais compris que j'allais voir un film de peu de cinéma. Et ça n'a pas manqué.
Premier dialogue et le constat se confirme : parler par les sens et les sous-entendus n'est pas le fort de Guiraudie. Les non-dits sont exagérés, comme ce silence bien trop accentué entre Jérémie et Vincent au moment de se retrouver. Même chose pour cette accolade dont on exagère le malaise. Il y a un petit côté truelle qui jure, surtout pour qui a déjà vu du Claude Sautet.
Le verbe ne sonne malheureusement guère plus juste. On ne pourra pas en vouloir aux acteurs qui s'efforcent d'y mettre toute l'authenticité qu'ils peuvent – David Ayala en tête – mais les lignes qu'ils ont à tirer n'aident pas.
Les phrases d'expositions tombent une fois sur deux comme des cheveux sur la soupe. C'est du « mais pourquoi veux-tu boire un coup avec moi Jérémie, avant on ne se voyait pourtant pas si souvent » ou bien encore du « ce serait compliqué pour moi de reprendre la boulangerie. Après tout, je n'ai travaillé jusqu'à présent que dans une boulangerie industrielle ».
Tout ça sonne toujours un peu faux, mal ouvragé, fait à la légère. Une impression qui s'intensifiera sitôt l'intrigue policière se développera. Et si je peux entendre que ça lui confère parfois un petit charme de cinéma rustre et fauché, en ce qui me concerne, le sentiment qui a surtout dominé ça a été celui d'un cinéma bien pauvre qui s'est trop régulièrement heurté à ses limites. Autant vous dire que, mon concernant, le visionnage de ce film s'est traduit pour l'essentiel en un effort permanent pour chercher à voir des personnages confrontés à des enjeux plutôt que des acteurs faisant ce qu'ils pouvaient pour donner du corps à un objet artistique qui n'a que la peau sur les os.
Ce que je trouve triste dans toute cette affaire, c'est que je ne vois même pas dans ce cinéma-là un quelconque geste de provocation ou de mépris. Non, j'ai juste l'impression qu'on évoque là tout un domaine qui ne parle pas à ce genre d'auteur. C'est un champ qui leur est étranger. Au fond tout ce qui tient de l'image relève du simple illustratif. C'est pour ça que chaque décor qu'on plante ne peut l'être qu'au travers de banals plans fixes qui panotent légèrement. C'est pour ça également que la dynamisation d'un scène de bagarre ne peut se réduire qu'en quelques champs - contrechamps maladroits. Et c'est certainement aussi pour ça qu'on ne s'embarrasse jamais de varier ses effets d'écriture et de direction d'acteurs sur l'ensemble de la grosse heure et demie que dure le film. Après tout, est-ce si problématique que cela que les moments de malaise soient systématiquement matérialisés à l'écran par des silences lourdement insistants ? Et puis pourquoi devrait-on se priver de signifier les dérobades par le sempiternel même procédé ; celui qui consiste à répondre à une question gênante par une autre question gênante ?
Les gens font-ils vraiment attention à ça, semble se demander Guiraudie ? Lui n'a certainement pas été interpellé par ces verres de pastis dont le niveau monte et descend anarchiquement d'un plan à l'autre sans que personne n'y touche. Alors pourquoi les autres y feraient-ils attention ? Bah non, tu penses bien. Ce que les gens vont regarder, c'est la petite blague à base de « oups ! Désolé je t'ai mis trop de pastis ». Et on se dit qu'ils ne verront que ça parce que c'est là-dessus que la réalisation insiste lourdement, en la verbalisant d'abord puis en faisant un bon gros plan dessus.
Du coup, si le cinéma de Guiraudie n'est ni dans la mise-en-scène, ni dans l'écriture, ni dans la gestion du rythme ou des sous-entendus, où est-il ?
Eh bah il se reste plus qu'un seul endroit où le chercher : le sujet.
Le sujet. Rien que le sujet. Juste le sujet...
On en est réduit à devoir se contenter de ça : un sujet et de comment il a été développé.
Soit. Pourquoi pas, donc. De toute façon ce Miséricorde ne nous laisse pas le choix. Et ça interroge mécaniquement sur ce que Guiraudie pose comme étant le cœur de son travail d'artiste.
Ce sujet, ce sont les retrouvailles aux lendemains de funérailles de trois hommes et de la mère de l'un d'entre eux. Des tensions s'expriment rapidement – tensions dont on comprend la nature au bout de cinq à dix minutes vu le niveau peu élevé de subtilité du récit – tout ça évoluant progressivement en intrigue policière dont l'enjeu ne sera pas la découverte du coupable (puisque on assiste au crime) mais plutôt la contemplation de multiples arrangements avec les faits et la morale, de part des uns et des autres, pour des raisons qui leur sont à chacun personelles.
Alors certes, moi le premier, je serais d'accord pour affirmer qu'un tel sujet est intéressant en soi. Mais au point de s'en contenter ? Au point de se moquer que tout ça fasse un peu faux ; un peu dissertation qui peine à s'incarner ; voire un peu lubie sur la question homosexuelle dont la seule évocation semble ici suffire pour en faire un centre d'intérêt ?
Cette focalisation sur l'intérêt seul du sujet est telle qu'on ne se soucie même plus dans ce film de vraisemblance. L'endroit dans lequel s'inscrit l'intrigue ne compte que quelques âmes – on n'en voit d'ailleurs que quatre mecs – mais sur ces quatre mecs, trois sont homos et le petit dernier l'est sûrement aussi mais sans être trop sûr. Ma parole, la Lozère c'est Gomorrhe si on se fie à Guiraudie...
Au fond, l'attention apportée à la vraisemblance de l'intrigue et de ses personnages est du même niveau que celle accordée à la manière dont les verres de pastis se vident d'un plan à l'autre. On décide de ne pas trop se prendre la tête ; de ne pas s'embarrasser de cette foultitude de détails qui n'en sont pourtant pas toujours.
On se contente de peu. On se contente du sujet, en tout et pour tout. Donc à nous, spectateurs, de savoir aussi de nous contenter de ça. Se contenter d'un sujet auquel on adhère déjà. Se contenter de préoccupations dans lesquelles on est content de se retrouver. Pour ce qui est du cinéma, on repassera. Après tout, on savait dès le départ qu'on n'était pas venus pour ça.
Alors pourquoi pas... Au fond à chacun ses petits kinks. On n'est pas non plus obligé de se nourrir que de culture trois étoiles. On a tous nos plaisirs régressifs, nos désirs d'entre-soi, notre soif ponctuelle de choses basiques. Là-dessus, ce n'est clairement pas moi qui vais jeter la première pierre car, moi aussi, j'ai mes plaisirs coupables. Mais bon, quand j'ai des plaisirs coupables et que j'entends m'exprimer dessus sur SensCritique, j'essaye de rester lucide autant que faire se peut. Je ne me bride pas sur la note – et j'aurais bien tort de chercher à le faire – mais par contre je n'oublie pas de préciser dans ma critique d'où je parle et de quoi je parle.
Je ne dis bien évidemment pas ça par hasard, vous vous en doutez bien. Parce que, si au bout du compte j'ai fini par me retrouver à perdre mon temps face à ce film, c'est certes à cause d'une affiche aguicheuse dont le style et la qualité se sont au final révélés totalement mensongers, mais c'est aussi et surtout à cause de retours et de conseils de la parts de contributeurs de ce site qui, à mon grand désarroi, semblent avoir perdu de vue la nécessité de préserver une certaine distance critique à l'égard de cette culture dominante à laquelle ils ont fini par adhérer.
Donc tant pis pour moi. Au moins cela me servira de leçon ; une leçon de plus.
En cette époque où on s'amuse à enfumer les esprits et à mépriser la complexité à laquelle mène parfois certains savoir-faire, à moi de me rappeler ce qu'il est de bon ton aujourd'hui d'encenser et de plébisciter,
Non par pour faire taire les Guiraudie ainsi que ses thuriféraires,
Mais juste pour me préserver de ce cinéma qui, à mes yeux, n'est fait au mieux qu'à moitié.