Miséricorde
7.1
Miséricorde

Film de Alain Guiraudie (2024)

Des corps. Gros, charpentés, rudes, vieux, secs, biscornus ou morts. La matière est bien filmée chez Guiraudie. Des visages, sur lesquels on cherche la vérité. On n'est jamais bien sûr de ce que les personnages vont faire la seconde d'après, on les découvre au fur et à mesure, à travers l'intelligence des dialogues. Chez Guiraudie, ce qui est sensé être caché est montré et ce qui d'habitude est minoritaire, comme l'homosexualité, est prédominant. Pourtant des silences planent, tout n'est pas affirmé, mais les non dits sont ailleurs... C'est ça qui tranche avec le réel. Ici, la lumière (naturelle), la nature tranquille, les maisons en pierre d'un village sommaire et la peau des personnages, ne changeront jamais. Ils existent tels quels, sans filtre. A l'inverse, les personnages, l'expression de leurs instincts et de leurs désirs, sont surrealistes et fluctuants. C'est ce décalage qui forme une absurdité propre à Guiraudie, dont l'écrin est un érotisme froid. Le réalisateur créé un rêve dans un monde réel, où le temps est suspendu (il n'y a pas de portable et on emploie encore des expressions comme "A la St Glinglin"), l'espace est restreint (église - maison - forêt), le désir est partout et tout le temps, y compris (évidemment) dans le sommeil, où tout le monde rend visite à l'objet convoité. Et l'objet désire tout le monde également. Quiconque ose se mettre en travers de ce désir entraîne violence et mort. Surtout dans la campagne profonde, où les ruraux sont sexualisés, chose rare, mais on ne les rend pas beaux, comme en ville. On les rend (trop?) instinctifs. Comme des bêtes.


Guidés par leur besoin de combler une solitude profonde, car c'est aussi le sujet du film, les personnages sont prêts à tous les dénis pour avoir pour eux Jérémie, le revenant. Il est une figure symbolique qui déambule et s'exprime sans répondre à une logique précise. Ce qui donne peut-être au film cette impression de tourner en rond, de s'essouffler, sans but. Car Guiraudie confond, sans doute volontairement, désirs et pulsions, et ces dernières se manifestent donc presque accidentellement. On se donne plein de raisons d'aimer le revenant au lieu de s'en méfier, même quand il tue. Tout le monde le sait, y compris la mère (Catherine Frot, excellente, et le flic, qui le visite la nuit...) mais tout le monde s'arrange pour essayer de garder son fantasme intact. Même l'étonnant prêtre s'arrangera avec sa morale lors d'une confession philosophique, juste pour conserver la figure de Jérémie, l'objet de ses désirs, qui l'aide à vivre, encore plus que sa foi. Il lui dit, "Si le mort ressuscitait de ton crime, est-ce qu'en échange tu irais en prison pour te faire pardonner?" "Non", dit l'assassin. Alors, tout est résolu, "reste à mes côtés, tu t'es arrangé avec ta conscience".

SainteMarlene
7
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le 8 nov. 2024

Critique lue 9 fois

SainteMarlene

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