Bonjour M.McQuarrie,
Votre dernière mission, Mission:Impossible 5 Rogue Nation, fut un franc succès, bien que rien ne vaudra sans doute jamais le Protocole Fantôme de M. Bird. Nous cherchons à développer un film meilleur encore que votre précédent opus en reprenant les mécanismes efficaces qui en faisait un véritable tour de manège pour spectateur et en les dupliquant à l'infini. Dans le même temps, nous aimerions en remontrer à plusieurs grandes sagas qui s'embourbent dans la recherche de la satisfaction du quota et dans l'écart esthétique inutile en usant bien-sûr plus sagement et avec un meilleur dosage qu'eux de ces éléments d'ingénierie cinématographique. Le but, à terme, est autant de se renouveler que de conserver son âme, son ADN.
Votre mission, si toutefois vous l'acceptez, sera de réaliser un nouvel opus de Mission: Impossible qui explorera tous les possibles de son univers propre et de toutes les sagas actuelles, qui se fera une somme de tous les opus précédents en alliant référence et surprise, allusion et bouleversement de situation.
Comme toujours, si vous, votre casting ou votre crew, faisiez un four, la Paramount et Bad Robot nieraient avoir eu connaissance de vos agissements. Ce message s'auto-détruira dans cinq secondes.
Bonne chance, Chris !
Tâche déjà de ne pas foirer ton Star Wars 9, Jim, et laisse faire les pros !, marmonna Christopher McQuarrie dans un soupir, tandis qu'il disparaissait dans les volutes de fumées du message s'auto-détruisant.
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Siège de la IMF, Langley, 2 Août 2018
Débriefing de l'Opération Fallout
Statut de l'évaluation de M. Brossel, directeur de la IMF reversé aux archives: Mission réussie !
Commentaires: Un beau jeu de miroirs, un habile jeu de poupées russes et une redoutable machine à explorer le champ des possibles.
Avis: Très favorable. Une suite est demandée d'urgence.
Rapport de Mission:
Un beau jeu de miroirs
Mission: Impossible Fallout, c'est avant tout un bel et jouissif jeu de miroirs qui donne à voir le film comme une somme de Mission: Impossible. Car il réussit la mission impossible consistant à faire référence aux plus vieux épisodes de la série classique comme à l'ensemble des volets de l'ère cinématographique de la franchise.
Le pré-générique apparaît comme une insolente mais jouissive réécriture de l' Opération Rogosh, l'un des meilleurs épisodes de la série (Saison 1, Episode 3). Synthétiser en quelques minutes un épisode d'une heure tout en en conservant la force et l'intensité, c'est le premier tour de force du jeu de miroirs Fallout. Le générique est lancé, lui-même dans le parfait pastiche moderne du générique des sixties pour ouvrir le bal intense et effréné des multiples références à la saga: la machine à masque défaillante, la mission initiale échouée et la menace nucléaire de Protocole Fantôme, la promenade sur des toits en verre, le Berlin, la collaboration avec des terroristes pour améliorer le monde, la course guidée par Benji de Mission: Impossible 3 relevés par l'intervention de Julia Mead Hunt, les courses à moto et cascades en avion de Rogue Nation, le scientifique créateur de monstre et son apophtegme, l'agent véreux et les motos de Mission: Impossible 2, le look de Luther Stickell (Ving Rhames qui s'en trouve comme rajeuni de plus de vingt ans), le thème du traître du film de De Palma. Pour ne citer qu'elles !
Des références de tous ordres tels que des répliques de Max sur les paradoxes ou la pastiche du face à face Hunt-Kittridge dans ses détails les plus visuellement techniques (plans, couleurs).
Un jeu de miroirs qui n'est pas irréfléchi: cela va plus loin que de simples points communs, de purs réinvestissements de lieux communs de la saga. Car ces références servent aussi à faire avancer l'histoire de Hunt et du monde dans lequel il évolue.
Bonne allusion au second volet dans lequel Sean Ambrose raillait avec mépris la volonté de Hunt de ne pas toucher à un cheveux d'un agent de sécurité quitte à se livrer à des pirouettes grotesques en passant par le toit d'un bâtiment, ce qui avait pu aussi paraître ridicule aux spectateurs, la critique faite à Hunt de ne pas savoir sacrifier une personne pour en sauver mille permet de faire l'éloge d'un héros prêt à tout pour sauver non pas tout le monde mais chacun. Et ça, c'est vraiment une mission impossible ! L'allusion en toile de fond filigrane du film, incarnée par le personnage d'Angela Bassett (habituée des Mike Banning), sert autant à améliorer une esquisse trop pâle de Hunt dans un ancien volet qu'à introduire une nouvelle supérieure plus instruite sur le caractère réel d'Ethan Hunt.
Un Ethan Hunt qui entre enfin dans la cour des grands. S'il n'était jusqu'ici qu'un Rollin Hand, un disciple de Phelps, éternellement rejeté dans son ombre, Hunt, dont on explore habilement la psyché sans tomber dans l'analyse du Bond de Craig, devient enfin l'égal de Jim Phelps et même mieux. Car il est soupçonner un temps durant du film d'être le méchant du film, le mystérieux John Lark. Peint de cette manière, il apparaît comme le nouveau Job 3:14, qui serait à la tête d'un groupe en clin d'oeil à cette référence biblique de De Palma: les Apôtres. Egal de Job 3:14, il devient l'égal de Phelps et relève le défi que son mentor n'a pas su relever: rester intègre malgré les indignités infligées par ceux-là mêmes qui devraient lui témoigner de la reconnaissance.
Enfin, un personnage se fait à la fois référence et "héritière" de sa propre confession de Max, le personnage de Vanessa Redgrave dans le premier film de la saga. Un personnage qui rend hommage mais qui vient sans doute également s'ajouter à une toute nouvelle ère à venir de la franchise. On l'appelle La Veuve blanche, veuve comme hantée par un passé, blanche comme vierge,nouvelle, pleine de promesses. La Veuve blanche, c'est un personnage symbolique du passage charnière entre deux ères cinématographiques différentes dans la franchise Mission: Impossible. La Veuve blanche, délicieuse opposée à la Veuve Noire du MCU, est aussi un personnage mystérieux: est-elle la disciple ou la fille de Max ? Peut-être cumule-t-elle ses deux états, ce qui en ferait une double de Hunt, l'hériter de Job 3:14, le complice de Max. A vanessa Redgrave, britannique, succède d'ailleurs la non moins britannique Vanessa Kirby, connue pour son rôle de Margaret, la soeur d'Elisabeth II dans The Crown. D'une so britsh Vanessa à l'autre, on y verrait, n'était l'âge, que du feu tant elles usent chacune du même flegme, de la même colère sourde et du même plaisir libertin à faire des "arrangements" avec les autorités d'Etat ou du crime.
Mission: Impossible Fallout constitue donc bien un beau jeu de miroirs semblable à celui que l'on peut apercevoir dans un cauchemar de Hunt où parmi plusieurs miroirs et reflets, Ethan tombe nez à nez avec Solomon Lane et Julia très complices ...
Un habile jeu de poupées russes
Les songes torturés de Ethan Hunt dans Fallout, ultimes références au premier volet de la saga, sont assez représentatifs du film. Du connu, du familier, de la référence, qui n'empêchent pas un surprise soudaine, un bouleversement inattendu et qui, dans une certaine mesure même, les favorisent.
Ainsi, les premières secondes du film, symboliquement, l'air de rien, de manière assez occulte nous raconte le film de 2h30 en quelques minutes. C'est du spoiler hautement intelligent, à supposer bien-sûr que le spoiler existe, puisqu'il ne révélera en tant que tel ... qu'à la fin du film ! On peut le voir aussi comme une réflexion à la belle quoique classique et facile épanadiplose de Mission: Impossible 3.
Fallout s'ingéniera à reproduire pour surprendre, à l'image de scènes de face à face Hunt/Faust aux issues symétriquement contraires suivant que l'on regarde Fallout ou Rogue Nation.
Mais il ne s'en tiendra pas à cela. Si vous avez aimé le final le Rogue Nation, vous allez être servis ! Fallout réduplique à l'infini ce mécanisme de narration pour faire sortir une situation d'une autre situation, surgie elle-même d'une autre situation qui n'est pas elle-même la situation réelle. Même le mystérieux John Lark, expert en mensonges et dissimulations, se perd dans ce jeu pervers de poupées russes et se dénonce tout seul sans s'en apercevoir.
A ce sujet, John Lark, s'il est indéniablement un bon méchant, constitue la plus faible surprise du film. On devine assez vite qui se cache derrière ce nom d'emprunt, un comble quand on sait qu'il est né sous la plume du créateur de Keyser Söze !
C'est que la surprise est ailleurs, dans ces scènes qui se retournent comme des masques trompeurs pour révéler toujours une nouvelle face. A l'image d'un personnage qui est assommé, qui du moins jouait l'inconscience pour déclarer commencer à aimer ce genre de jeu, ce qui semble annoncer qu'il restera un bon bout de temps encore dans la saga, pour mourir quelques minutes plus tard de façon inattendue.
Ces surprises, par écarts esthétiques ou par emboîtements successifs, participent de l'exploration du champ des possibles.
Le Terrain de tous les possibles
A une seconde d'une explosion nucléaire apocalyptique, on coupe un fil et ... écran blanc de quelques secondes ... Une scène magistrale et le summum de la poétique de ce film !
Dans ce blanc indéfini, tout est possible: tout le monde est mort, tout le monde est vivant. On est en suspens devant un écran devenu une boîte de Schrödinger dont Cruise and Cie sont les chats.
Et, à vrai dire, tout le film est ainsi fait.
On envisage tout par flashs: Hunt est Lark l'espace d'un instant et tue des innocents; Julia trompe Hunt avec le chef du Syndicat; trois paires de jambes dans un cabinet de toilette et voilà Hunt homosexuel à qui l'on chante La Vie en rose (référence incongrue d'ailleurs à l'épisode 16 de la saison 1 de Mission: Impossible 20 ans après); Luther devant un pistolet, plus de réponse de sa part, et on le voit déjà mort quand il réapparaît otage. Le futur de prophétie employé par Solomon Lane place la catastrophe comme déjà écrite tandis que John Lark assène de nombreux "vous êtes battu" au présent de l'énonciation à un Hunt médusé, ce qui ajoute aux nombreux échecs quantiques de Hunt dans le film.
Plus que toutes les situations possibles, Fallout propose tous les personnages possibles.
Il offre à Julia Hunt (Michelle Monaghan, très en forme) un véritable rôle, tantôt virtuel, tantôt bien concret. Elle entre dans l'histoire à un moment ou son double fictif l'a déjà bien précédée. Que devient Julia ? Où est-elle ? Tant de suggestions des possibles avant de la voir en chair et en os ! La rencontre de Julia et Isla participe de cette volonté d'explorer les possibles, laissant un flou favorable à la suggestion.
Ethan Hunt lui-même n'échappe pas à une représentation multiple comme évoqué plus haut. Et il est associé à August Walker (Henry Cavill qui, désormais, n'a plus de preuves à faire pour devenir le nouveau James Bond, jetant les Elba, les Hardy, les Bell, les Hiddleston, les Murphy, les Anderson, les Boyega et autres ...évitons la censure ... au tapis des éternels prétendants au rôle), son total opposé. Erica Sloane, la directrice de la CIA les définit d'ailleurs comme l'alternative l'un de l'autre, deux hypostases potentielles d'un même agent secret: le scalpel et le marteau. Ne manque que l'enclume ou la faucille !
Mais les plus révélateurs, parmi l'incroyable galerie de personnages de Fallout, de cette exploration du champ des possibles, ce sont les deux méchants. Oui, vous avez bien entendu ! Deux méchants ! Comme si Solomon Lane et Cobalt s'étaient associé dans une synthèse de Protocole Fantôme et Rogue Nation ! Ils incarnent par leur différence dans la connivence les deux facettes de méchants les plus représentés actuellement au cinéma et envisagent le passage d'un type de méchant à un autre, soit la fin de l'ère des méchants calculateurs et attachés à détruire avec leurs moyens colossaux un individu dont ils veulent se venger, à l'instar du Pr Moriarty ou des deux derniers méchants de James Bond pour en revenir au bon vieux méchant mégalo qui veut refaire le monde.
John Lark est l'incarnation de cette catégorie de méchant: nouveau Cobalt, il est aussi moins dissimulé, plus insidieux et bien plus physique. Un vrai méchant bondien, synthèse entre un Hugo Drax et Requin.
Dans le même temps, Solomon Lane revient dans un registre à la Mr White, teinté du Blofeld de Spectre. Et pourtant, il explore lui aussi d'autres possibles. Prisonnier, il revient barbu, prédicateur, associé dès le début du film à un chef religieux. Maître des Apôtres, il se pose en Jésus maléfique et figure subtilement le terrorisme islamiste: quoi de plus normal que de le retrouver à Paris, prêt à se noyer, à être baptisé Jésus du Crime ? Moriarty doit faire une de ces têtes, simple Napoléon ! Simple intellectuel hacker à lunettes dans Rogue Nation, il l'est toujours dans Fallout mais réinventé pour laisser entrevoir une facette plus sombre et plus folle de sa personnalité.
En explorant tous ces possibles, Fallout en arrive à glisser quelques imitations d'autres sagas, leur sonnant les cloches sur le ton du "Si j'y arrive autant que vous y parveniez jadis, pourquoi ne le faîtes-vous plus ?"
Dans son invisible viseur, James Bond et Pirates des Caraïbes !
Qui n'a pas, même furtivement, pensé à Jack Sparrow en entendant Ethan Hunt s'exclamer dans un geste de la main très proche du capitaine du Black Pearl: "Moi, je ne sais pas dans quoi je m'engage ? Je ne sais pas dans quoi je m'engage ? Dis moi ... dans quoi ... dans quoi est-ce que je m'engage ?"
Ce n'est là qu'un détail. Car Fallout disloque les certitudes, forme et déforme les alliances pour surprendre. Comme c'était le cas de Pirates des Caraïbes ...jusqu'au troisième volet. Depuis, on cherche à innover quitte à produire des films bateau (ce qui pourrait certes être de circonstance).
Défaut pointé dans Pirates des Caraïbes, pointé également dans James Bond. L'intelligence dans la référence, la réflexion sur l'écriture d'un méchant, l'humour, la capacité à donner une épaisseur psychologique au héros sans tomber dans l'étiologie ou l'analyse freudienne, jusqu'à l'exercice d'équilibriste consistant à se renouveler tout en restant fidèle à son ADN, tout dans Fallout donne au James Bond de l'ère Craig sa grosse fessée devant tout le monde.
Semper fidelis
En effet, la force de Mission: Impossible, c'est sa fidélité à lui-même. Il se renouvelle sans cesse, avec brio, mais il reste néanmoins lui-même, réalisé et interprété par des fans de la première heure de la série.
On lui reprochera sans doute d'avoir changé Jim Phelps en criminel avant de le tuer. Mais c'était pour lancer une nouvelle ère de la franchise, comme cela aurait pu être fait à l'heure de remplacer Dan Briggs par Jim Phelps.
Une fidélité à son matériau de base, sans iconoclasme, sans muséification, dont devrait s'inspirer les producteurs de la EON.
La bande-annonce et certaines interviews de McQuarrie laissaient pourtant entendre que tout allait radicalement changer, laissant craindre un Derniers Jedi made in Mission: Impossible. Il n'en est heureusement rien: c'est un faux changement pour introduire une ère nouvelle mais fidèle. L'un des nombreux coups de théâtre de Fallout.
Tout au long du film d'ailleurs, on qualifie cet état d'esprit sixties "de grands gamins" et "d'Halloween", pointant la vacuité et l'inutilité de la IMF pour finir par cette conclusion: "Nous avons besoin de Mission: Impossible". Comme le dit Hunt dès le début du film: "C'est fini quand nous disons que c'est fini !"
Ce message s'auto-détruira dans cinq secondes
A notre époque de rejet des classiques ou de culte voué à un original jugé indépassable, Querelle des Anciens et des Modernes 3.0, cela fait du bien de voir une suite de franchise à la fois fidèle et rafraîchissante, combinant ce qui semble à tort deux inconciliables.
C'est que Mission: Impossible ose se repenser intelligemment et ose arborer ses poncifs avec bienveillance.
Il suit en cela la célèbre maxime de Sénèque: Ce n'est pas parce que c'est impossible que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que c'est impossible.