John Huston s'est attaqué à un monument de la littérature américaine du XIXème signé Herman Melville, "Moby Dick". J'avais lu, enfant, dans une édition genre "bibliothèque verte" un livre qui s'appelait "Moby Dick" et pendant très longtemps, j'avais conservé l'idée que "Moby Dick" n'était qu'un roman d'aventures maritimes de chasse à la baleine (un peu dans le style Jules Verne). Jusqu'à ce que je voie ce film, il y a peut-être une vingtaine d'années, peut-être plus, où j'ai compris qu'en fait, Moby Dick était bien autre chose. Les références bibliques nombreuses, la dimension métaphysique, la lutte conte le Bien ou le Mal ...
Je ne suis pas sûr que j'aurai un jour l'envie de lire le livre complet. Les sujets abordés dans le film ne m'intéressent, disons, que le temps d'un film. De là, à me farcir un livre qui promet d'être assez complexe et probablement pas si passionnant que ça de plus de 600 pages ...
Revenons au film qui porte plusieurs dimensions ou niveaux de "lecture" (pardon, pour cette façon inappropriée d'écrire...) que je vais développer ci-après.
Il y a d'abord la dimension maritime et épique qui fait que même un enfant doit pouvoir regarder le film comme un simple film d'aventures sans se préoccuper du reste.
Ensuite il y a une dimension tragique où l'homme est face à son destin. Le capitaine Achab a antérieurement été gravement blessé lors d'une confrontation avec la baleine Moby Dick et ne vit plus que pour se venger et la tuer. C'est devenu obsessionnel au point d'entraîner tout l'équipage dans l'aventure personnelle. Pour un peu, ça me rappellerait presque le héros de la mythologie grecque Prométhée qui est bienveillant face aux hommes en leur amenant le feu après l'avoir volé aux dieux (la chasse à la baleine est aussi utile aux hommes). Mais Prométhée est aussi malveillant vis-à-vis des dieux qui le condamneront à être enchainé et à se faire bouffer le foie (dans le film , les mêmes dieux le crucifieront sur la baleine et détruiront le bateau et l'équipage).
Il y a une troisième dimension métaphysique ou philosophique où le héros Achab poursuit une sorte de quête du Bien ou du Mal avec autant d'arguments pour assimiler le couple Achab/Moby Dick comme le Bien/le Mal ou au contraire le Mal/le Bien. Et même, le Mal/le Mal ...
Peut-être qu'il y a aussi une dimension biblique qui peut sembler évidente (mais que je maîtrise mal) car bien des noms trouvent leur source dans l'Ancien testament.
Achab était un roi impie qui avait quand même fini par faire alliance avec les hébreux
Ismael (celui qui raconte et qui est le seul survivant dans le film) est un fils d'Abraham et s'écartera des hébreux ; il est considéré aujourd'hui comme l'ancêtre de musulmans. Que vient-il faire là, au juste ?
Elie, le prophète, qui sur le port avant le départ prédit que l'expédition avec Achab tournera au désastre.
Rachel (la femme de Jacob - pas compris l'allusion) est le nom du bateau rencontré au milieu du Pacifique auquel Achab refusera son concours pour n'être que tout seul à la poursuite de Moby Dick.
Jonas qui fut un prophète qui, comme tout le monde sait, eut à faire à une baleine mais qui, lui, obéissant à Dieu ne s'est pas acharné sur la baleine. Enfin, je crois ...
La réalisation de Huston est énorme, à sa mesure. Il y a des scènes d'anthologie, par exemple le sermon du pasteur Mapple à propos de Jonas, justement juché sur une proue de navire atteignable avec une échelle de corde. La scène jouée par un imposant Orson Welles.
Les effets spéciaux sont très convaincants et conduisent aussi à une scène d'anthologie que tout le monde connait qui est la bagarre monstrueuse d'Achab et de Moby Dick où il finit crucifié/enchainé à la bête.
Le film est en couleur mais dans nombre de scènes, les couleurs sont filtrées pour donner une impression d'histoire ancienne peut-être ou d'atmosphère tragique ?
Côté casting, Achab est interprété pat un Gregory Peck un peu inhabituel pour deux raisons.
Le personnage est tyrannique, obsédé, bref pas positif comme on (=je) l'apprécie habituellement. Le positionnement de l'acteur est très théâtral et donne visiblement l'impression de jouer un rôle comme on dirait du répertoire shakespearien. Je veux dire que le jeu très posé ne laisse pas filtrer beaucoup d'émotions. C'est tellement inhabituel que je pense que c'est complètement voulu par Huston.
Bon au final, je ne doute pas qu'il s'agisse d'un film de référence cinématographique. Les divers axes de compréhension sont très intéressants. Je ne dirai certainement pas que le film m'a passionné.