Mommy fut mon tout premier Dolan - et une révélation, comme pour beaucoup.
Je n'ai depuis cessé de discourir à qui mieux mieux - ici et ailleurs - sur l'irrésistible ascension du jeune prodige québécois, sur son talent hors normes, hors pairs et qui confine au génie, pour moi.
Ce Prix du Jury, cette longue standing ovation, ces dithyrambes : Mommy et son père ne les ont pas volés. A 25 ans, et avec ce 5ème film, Dolan entre de plain-pied dans la cour des grands et peaufine sa légende. Tant sur le fond que sur la forme, pour moi ce film est presque parfait. Je lui mets 9 car il a tous les petits défauts du cinéma de Dolan que je reconnais bien maintenant, mais qui ne le rendent que plus attachant.
Néanmoins, comment - COMMENT - ne pas être invariablement bouleversé, séduit, ému par l'histoire de ce trio fragile saisi dans tout son réalisme, sa tendresse, son orgueil, ses failles ? Il y a Diane et son fils Steve, deux enfants au fond : elle, sans doute trop fan des bêtises de son fils pour réussir à le canaliser, mère dépassée en proie à de multiples démons, mais combative, drôle et pleine de pep's (bien que très vulgaire, quel rôle de composition pour la grande Anne Dorval!); lui, l'Immaturité incarnée, qui ferait passer Kevin de Home Alone pour un adulte responsable (d'ailleurs, il y a un clin d'oeil à cette oeuvre dans ce film), impulsif, jeune chiot déchaîné incapable de refréner son hyperactivité, insolent et provocateur, on a envie de lui foutre des baffes (c'est sans doute ce qui lui a manqué, ndlr) et en même temps, c'est un enfant vulnérable qui craint l'abandon et adore sa mère, alors comment lui en vouloir ?
C'est tout l'art des films de Dolan : parvenir à faire rendre attendrissants des personnages insupportables.
Et puis, face à ce duo fusionnel (qui flirte avec des limites psychanalytiquement très discutables mais qui ont le mérite de mettre le doigt là où ça fait mal : un complexe d'Oedipe mal résolu), il y a Kyla, une voisine farouche, ex-enseignante à l'élocution contrariée, qu'on devine victime d'un choc émotionnel récent et qui va peu à peu se lier d'amitié avec Die puis accepter d'aider son fils à se remettre au niveau scolairement.
La manière qu'a Dolan de filmer ces liens en train de se former entre eux, la simplicité de certaines scènes aux dialogues formidables (le premier dîner, la danse dans la cuisine sur Céline Dion, le "trésor national", les fous rires sur le balcon, la balade à vélo), la mise en lumière de chaque personnage (notamment les femmes... Dolan sait si bien les magnifier) et puis toujours ce Steve au centre, sa blondeur polaire, sa folie et sa liberté aussi. On a beaucoup parlé de ce moment où le personnage écarte les bords du cadre noir pour l'étirer en plein écran, comme pour signifier le délassement enfin, l'oiseau sortant de sa cage, les volets qui s'ouvrent : quelque chose se passe en lui qui a trait à l'envolée, ce moment où l'étau se desserre, où le papillon s'extrait de sa gangue cotonneuse.
Malheureusement, le répit est de courte durée. Il y a chez Dolan une mélancolie manifeste qui file tous les rapports humains, une noirceur qui sourd sans cesse derrière les sourires, comme si les happy ends n'était pas de ce monde....
Non seulement les images sont magnifiques mais la musique qui les accompagne est, comme toujours, fantastiquement bien choisie. Dolan est né en 89 et ses références musicales sont bien de son temps, phares d'une génération qui ne pourra que s'y retrouver et être touchée : Dido, Oasis, Counting Crows (qui accompagne une mémorable scène de longboard puis de caddie) et la suavité de Lana Del Rey pour refermer cette histoire...Le cinéma, c'est aussi ça aussi, lier une image et un son pour ancrer un souvenir synesthésique dans la mémoire du spectateur. Dolan y parvient superbement, à chaque film.
Mommy va loin dans le désespoir, loin dans la tragédie qui s'obstine, loin dans les poings qui s'abattent, dans la fureur qui dévore l'être comme l'incendie la forêt, dans les dents que l'on serre, la bonne figure que l'on fait pour mieux masquer sa tristesse, par orgueil, par vaine fierté : cette dernière scène entre Kyla et Die, la première sur le seuil de la porte, celle qui a tout vu et tout connu de cette mère et de son fils, elle l’indéfectible soutien qui annonce qu'elle quitte la ville, les yeux embués, les syllabes tremblantes n'osant émerger; et Die à la joie outrancière, déplacée, qu'on sait mensongère mais qui préfère s'enferrer dans des banalités, des généralités, plutôt que d'avouer sa détresse à son amie.
La scène qui suit, où elle laisse éclater seule sa colère, m'a semblé d'une force incroyable : le visage d'Anne Dorval est tout simplement méconnaissable dans sa rage et son désespoir.
Mommy est une histoire d'amour, d'amitié et de confiance, d'idéal déçu, de rêves que l'on forme pour ses enfants, un film non seulement visuellement magnifique, mais porté par des acteurs extraordinaires qui se fondent dans des personnages complexes dont ils parviennent à rendre toute la singularité, la difficulté d'être - l'humanité en somme. Dolan signe un film qui lui ressemble : sensible, outrancier par moments, séduisant, émouvant et vrai.
Un film qui est une déclaration d'amour aux femmes et à leur courage de guerrières face à l'adversité, mais aussi une ode à la culture québécoise et à sa langue incompréhensible, gouailleuse et drôle, qui nous transporte, nous dépayse et nous grise.
2h19 d'émotion à l'état pur : merci, Xavier, encore.