Ce biopic, qui se concentre sur la dernière année de lycée du tristement célèbre tueur en série, s'attache à nous présenter les cadres familial --- mère psychologiquement instable, couple sur le point de divorcer --- et scolaire où Jeffrey Dahmer a grandi, son homosexualité, son goût pour les cadavres (animaux morts ramassés sur la route puis dissous dans des bocaux), son sadisme envers les bêtes...
-- écureuil écrasé dans un piège (sorte de tendelle)
-- poisson massacré au couteau sitôt pêché (alors que les copains attendaient de lui qu'il le remette à l'eau)
-- chien blanc qui échappe de peu à l'égorgement
-- chien roux éviscéré
L'école reste toutefois le lieu principal dans lequel le réalisateur nous montre son personnage évoluer : d'élève rejeté et harcelé, Dahmer est finalement "adopté" par un petit groupe de garçons fascinés par sa bizarrerie et sa capacité à faire le pitre en public (ils vont jusqu'à le payer pour qu'il amuse la galerie [marchande]).
I think we should form a Dahmer fan club. (...) I think with you as our fearless leader, we can... we can really disrupt the school. Go out in style.
Outre son besoin d'affection maladif --- raison pour laquelle Jeff accepte de s'humilier en public (pour s'assurer la sympathie des copains-commanditaires) et qui, plus tard, le poussera à manger certains de ses amants (afin, dira-t-il lors d'entretiens, d'être le plus proche possible d'eux...) --- Dahmer se sent/sait plus généralement perturbé mais fait des efforts pour contrôler ses pulsions, pour maintenir un certain équilibre, pour évacuer : il boit pour "s'éviter", il se parle à voix haute pour se calmer, il invite une demoiselle au bal de fin d'année...
Après son premier meurtre, il restera neuf années sans récidiver en s'immergeant, au début, dans la religion (messes, lecture de la Bible...), mais cet alcool qui, au lycée, lui permettait de résister, deviendra son ennemi : il échouera dans ses études supérieures et, engagé dans l'armée, cette dernière le renverra en raison de son addiction.
Le film de Marc Meyers parvient fort bien à nous dépeindre l'environnement hostile dans lequel se débat cet adolescent.
S'il n'y a pas de maltraitance physique à la maison, les brimades à l'école ont fait partie du quotidien de Jeff. Alors qu'il est en proie à des tourments psychologiques (morbidité, sexualité incomprise), il mijote de surcroît dans une atmosphère gorgée de faux-semblants --- la mère, du fait de sa condition psychiatrique, est tout à la fois envahissante et inutile ; ses copains n'en sont pas vraiment ; ce sont des profiteurs (et le savent) --- qui le frustre, le fait suffoquer intérieurement...
Faux-semblants qui seront suivis par l'abandon. Ses parents divorcés, Jeff se retrouve en effet désormais seul dans leur propriété de Bath (Ohio). Seul avec ses démons (l'éducation secondaire est achevée) : il fantasme sur des corps masculins à disposition...
Il ira plus tard jusqu'à tenter de créer un "zombie sexuel" en injectant de l'acide dans le lobe frontal d'une ou deux victime(s) drogué(e)s --- ce sera son modus operandi : droguer les partenaires ; il ne jouira donc pas de leurs meurtres, de leurs vies disparaissant, mais de corps inanimés.
Il n'y aura eu que le père, tout aussi malheureux que son fils aîné, pour tenter de comprendre Jeff et de discuter avec lui (lui faisant suivre de vaines thérapies), mais ce papa semble manquer de force et de cran --- et dans le film et dans les interviews des documentaires --- pour affronter le mur massif que représente Jeffrey.
D'où, d'ailleurs, ce visage fermé auquel le spectateur a droit (cf. l'affiche) pendant 107 minutes.
On pourra reprocher cette insistance du metteur en scène à nous imposer le regard buté de Jeff, son maintien gaston-lagaffesque, ses pathétiques bouffonneries... mais avait-il le choix ?
Le sentiment de répétition instillé n'aide-t-il pas à mesurer l'étendue de l'enfermement, de la détresse, de l'inertie et de l'horreur qui couve ?
Reste que ce choix n'enlève rien à la sensibilité du propos, à la qualité de la démonstration, à la justesse de l'ensemble --- les seconds rôles sont excellents ; mention spéciale à Alex Wolff, prodigieux.