Bienvenue au théâtre !
Le cinéma d'Ozon est celui d'un un théâtre des apparences qui cachent des perversités. Mon Crime n'échappe pas à cette logique, s'assumant plus que jamais comme du théâtre de boulevard, et s'ouvrant avec le la d'un orchestre qui s'accorde et un lever de rideau rouge sur un décor peint et toute une panoplie de mensonges. On ne pouvait pas être plus explicite. La fiction sera toujours plus intéressante que la vérité.
Dans cette mise en abîme entre réalité et théâtralité, Ozon dépasse évidemment le simple théâtre filmé, et propose un vrai film de troupe, chorale où chaque comédien·ne s'en donne à cœur joie, où tous les personnages, jusqu'aux seconds rôles (Fabrice Luchini est impérial, mais la surprise vient de Dany Boon, étonnamment touchant), sont finement dessinés et écrits, portés par un même rythme, un même ton, une même onde, qui rappelle parfois le cinéma de Woody Allen.
En citant Sacha Guitry et Marivaux, Billy Wilder et Ernst Lubitsch, Sarah Bernhardt et Danielle Darrieux, le cinéaste cinéphile rend un hommage émouvant à un cinéma artisanal dont il est un digne héritier, et, à la manière d'un Michel Hazanavicius, joue avec les clichés de cette époque en leur faisant un pied de nez ludique. Son film est jubilatoire, coloré, vivant, littéraire, aux dialogues très écrits, enlevés, taillés dans une langue admirable.
Mais derrière la légèreté naïve des années 30, où l'on se voilait la face quant aux catastrophes qui allaient venir, derrière le marivaudage, François Ozon glisse avec audace ce qu'il faut de noirceur, convoquant ses thèmes manipulateurs et pervers habituels. En croquant ce monde des apparences (et ce théâtre permanent - réjouissantes scènes de procès à l'appui -), et, bien qu'adaptant une pièce de 1934 de Georges Berr et Louis Verneuil, le réalisateur traite en fait de thèmes très contemporains : obsession pour la sexualité, violence et ridicule des hommes, condition des femmes il y a presque un siècle, #metoo avant l'heure, homosexualité rejetée, ...
Mon Crime, au titre subversif et amoral (répétition abusive du pronom possessif pendant tout le film), se révèle, derrière son apparente frivolité, un film délicieusement ironique, féministe et manipulateur.
Après le renoncement au patriarcat de 8 femmes, le portrait d'un matriarcat dur dans Potiche, Ozon célèbre ici le triomphe de la sororité.