Avec Mon Oncle en Amérique, Alain Resnais nous livre une étude du comportement humain à travers 3 récits. Le film, très hétéroclite, mêle éléments de fiction, images d'archive, expériences scientifiques et voix-off explicative, cette dernière étant assuré par Henri Laborit.
Celui-ci a une influence déterminante sur l’œuvre puisqu'il l'a co-écrite, aussi attardons-nous un peu sur le bonhomme : il s'agit d'un chirurgien neurobiologiste, spécialisé dans l'étude du stress (il a introduit le premier neuroleptique au monde en 1951). A l'époque du film, il dirige un laboratoire d'eutonologie (c'est-à-dire « étude du maintien d'un tonus normal ») depuis 22 ans.
Il s'agit d'un personnage extrêmement influent sur le plan scientifique, qui a notamment révolutionné l’anesthésie avec l'hibernation artificielle. Autre point qui aura son importance ici : il étudiant également le comportement animal. Toujours soucieux de présenter ses théories au grand public, il n'hésite pas à vulgariser ces dernières lui-même.
On comprend dès lors que, bien plus que Resnais, Henri Laborit est l'homme-clé dans la conception de ce film, puisque celui-ci se base sur ses propres travaux, et qu'il a pu ainsi les diffuser à un large public.

Le film commence par un montage parallèle quelque peu surprenant. D'un côté, des considérations biologiques de base (le but premier d'un être vivant est de se maintenir en vie, ce genre de choses). De l'autre, 3 voix-off récitent leur autobiographie simultanément (oui, oui, simultanément) sur fond de multiples vignettes photographiques.
Tandis qu'Henri Laborit poursuit méthodiquement son exposé biologique (abordant tout d'abord les plantes, puis les animaux, puis le comportement de ces derniers), les 3 autobiographies, quant à elles, s'espacent de plus en plus les unes des autres, permettant petit à petit de déchiffrer cet imbroglio de paroles enchevêtrées. Si cet effet a au moins le mérite d'intriguer le spectateur, je ne saurais me prononcer quant à sa signification (peut-être souligner le fait que les 3 récits se déroulent en même temps ?).
Enfin, toujours est-il qu'au bout de l'introduction (de 20 minutes tout de même), on se retrouve avec 3 tranches de vie résumées succinctement et quelques notions et/ou théories d'éthologie (i.e. de comportement animal) sur les bras. Sans qu'on le sache, c'est en fait tout le film qui nous a été résumé. Cette approche a un intérêt double : celui, tout d'abord, d'annoncer le ton professoral et quelque peu distant qui caractérise le film. Et surtout, celui d'orienter la lecture que l'on fera des scènes suivantes.

En effet, parmi toutes les notions/théories abordées durant l'intro (et qui pour beaucoup mériteraient un sérieux approfondissement, mais je vous épargne ce supplice), il en est une de centrale : celle qui décrit les éléments qui règlent la conduite chez un animal. Ceux-ci se rangent en 4 catégories : la consommation (manger, boire...), la récompense, la punition, et l'attente (plus précisément : l'inhibition de l'action ).
Par la suite, nous avons un récit choral d'une quarantaine de minutes, sans aucun recours à la voix-off. Durant cette partie, nous suivons 3 personnages d'origines diverses pendant une grande partie de leur vie, en insistant particulièrement sur le contexte familial (ce qui est nécessaire pour le propos, le comportement étant intimement lié à l'apprentissage chez l'homme).
Le fait d'avoir abordé cette théorie comportementale AVANT les scènes de fiction permet, fort ludiquement, de chercher les exemples qui l'illustreraient (et ceci d'autant plus qu'on connaît déjà les événements à venir : ceux-ci nous ont été racontés durant l'introduction). Les exemples ne sautent pas toujours aux yeux, mais cela permet de donner un fil conducteur à 3 récits qui, autrement, manqueraient d'enjeu et de cohésion.

Après ces 40 minutes de fictions, il y aura une ellipse dans l'histoire. Henri Laborit reviendra alors pour donner un nouvel éclairage à certaines scènes passées et affûtera ses explications grâce au(x) récit(s) en cours. Il développera notamment les effets qui résultent de l'attente (angoisse, mal-être, etc.) et introduira la notion de dominance ; notion centrale bien qu'évoquée tardivement (elle conclura d'ailleurs le film). Par ailleurs, les scènes de fiction seront montées en parallèles avec des expérimentations scientifiques sur les rats, qui sont là à titre de démonstration.

Au final, toute la partie fiction sert donc d'illustration géante de la théorie de Laborit. Le fait de conduire 3 récits en même temps permet ainsi de varier au maximum les situations et de donner plusieurs exemples de comportement devant une même situation (par exemple, l'angoisse de l'attente).
En outre, cela contribue à insuffler du rythme au film. Les histoires en-elles-même n'ont rien d'extraordinaire, et c'est d'ailleurs voulu : le but est de révéler les enjeux « cachés » dans une situation à priori normale
Le jeu d'acteur, quant à lui, s'avère assez peu subtil, mais je pense que là encore, c'est volontaire : en effet, les personnages ont des émotions pleines et entières, ils ne refoulent que peu leur joie, leur peine ou leur angoisse (et quand c'est le cas, ils s'arrangent pour le montrer).Les réactions ont toujours des causes bien définies et sont toujours attendues (cause : un concurrent est apparu au boulot => conséquence : me voilà nerveux et irrité).
On est donc face à des récits schématiques, toujours très limpides mais néanmoins peu impliquants pour le spectateur, d'où une impression de ton froid et distant (impression renforcée par les interventions scientifiques).

Néanmoins, le grand atout de Mon Oncle d'Amérique, c'est avant tout le montage d'Albert Jurgenson, qui avait déjà travaillé avec Resnais (on reconnaît d'ailleurs sa patte dans Je t'aime, je t'aime). Très efficace, très bien rythmé, il arrive à naviguer à la perfection entre les différents types d'images (expérimentations scientifiques, récit fictif, photographies, explications de Laborit...).
A ce sujet, d'ailleurs, j'avais évoqué en début de critique des images d'archives : il s'agit en fait de très courts extraits d'anciens films en noir et blanc. Ces extraits servent en quelque sorte d'interlude musicale pour passer d'un personnage à un autre dans le récit.
Leur utilisation est assez surprenante. Ce sont généralement des références à la scène qui vient de se dérouler ou à l'état d'esprit du personnage qu'on vient de suivre (à une femme en détresse, on apposera l'image de quelqu'un qui manque de se noyer). On peut ceci dit pousser l'interprétation plus loin : en effet, on peut donc penser que ces extraits de films ont été vus par les personnages en question. Janine Garnier aime les films de cape et d'épée, ce seront donc des films de cape et d'épée qui apparaîtront. René Ragueneau est un inconditionnel de Jean Gabin, Jean Gabin répondra donc à l'appel.
Ces extraits font donc partie de la mémoire des personnages du film (rappelons au passage que Resnais à énormément travaillé autour de la question de la mémoire, justement). Or, il est dit dans l'introduction que c'est la mémoire qui définit le comportement de l'homme. Par conséquent, ces œuvres de fictions servent de référence à nos 3 personnages, elles leur indique comment se comporter par la suite. C'est particulièrement frappant lors d'une scène où Depardieu se retourne exactement de la même façon que Jean Gabin.

Lors de sa sortie, le film a bénéficié d'un bon succès public, mais a essuyé de nombreuses critiques dans le monde scientifique. Je n'ai cependant pas retrouvé les points litigieux (à part un éventuel débat entre déterminisme et liberté, mais je ne sais même pas s'il vient du milieu scientifique) ; du reste, n'étant pas spécialiste dans le domaine, je ne peux évidemment pas juger de sa pertinence. Ce que je peux dire, en revanche, c'est que la vulgarisation de nombreux concepts et théories est plutôt réussi et que j'ai trouvé que le film possédait un bon équilibre entre complexité et compréhensibilité. Malgré de petites longueurs durant la première heure, il s'avère au final captivant et éclaire de manière intéressante et convaincante certains mécanismes inconscients.
KreepyKat
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le 12 août 2014

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