J'ai vu Monsieur Klein au début du confinement, et je l'ai revu à la fin du confinement, hier (je l'avais déjà vu une fois il y a quelques années), pourtant il demeure dans ce film une part d'insondable. J'ai toujours du mal à m'approprier cette oeuvre qui figure sans nul doute parmi les plus troublantes de l'histoire du cinéma. Il s'agit pourtant du film le plus classique de Joseph Losey disons de la période postérieure aux Criminels, même si je ne les ai pas tous vus. Losey n'est d'ailleurs intervenu qu'assez tard dans le projet de film qui à l'origine devait être réalisé par Costa-Gavras (auteur du scénario). C'est Delon qui, producteur du film, a fait appel à Losey. Ce fut évidemment un excellent choix, mais il en résulte un film étonnant : à un scénario de thriller à la lisière de l'édifiant se greffe la mise en scène magnifique et extrêmement étrange de Joseph Losey. Car somme toute Monsieur Klein n'est que l'histoire d'une enquête : celle d'un homme qui veut retrouver celui qui lui a fait endosser son identité, probablement pour le faire déporter à sa place (même si ce n'est jamais très clair). Quasiment toutes les scènes s'inscrivent dans cette enquête, mais elles sont toutes traitées d'une manière qui semble leur conférer un sens caché. Ce sont par exemple les expressions d'inquiétude ou de honte (difficile à dire) qui passent sur les visages du rédacteur en chef des Informations juives et du père du protagoniste lorsqu'ils sont interrogés par Klein (pour l'un au début du film, pour l'autre à son milieu), ou bien encore ce moment où Klein se saisit d'un rasoir face à la concierge apeurée. Quant au personnage principal, incarné - faut-il vraiment le dire - de manière absolument grandiose par le plus grand des acteurs, j'ai nommé Alain Delon, son attitude apparaît comme incompréhensible, illogique, alors même qu'au fond elle ne l'est pas (il ne cherche qu'à découvrir la vérité). En définitive, tout ce qui relève soit d'un contexte historique tristement célèbre soit d'une construction scénaristique assez classique se trouve mis en images de telle manière qu'il semble relever d'un monde fantastique, illogique, absurde. Et oui certes il est absurde (en plus d'être atroce) qu'une part de la population soit mise au ban de la société puis livrée à l'ennemi au nom de la loi, que pour échapper à cette loi il faille prouver que ses quatre grands-parents ne sont pas juifs ou que ses narines ne sont pas trop écartées, examen médical à l'appui ; mais j'ai tout de même du mal à croire que ce soit là la seule ambition de Losey (peut-être était-ce celle du scénario). Nul besoin de Losey pour comprendre l'ignominie que fut l'occupation et si quelques scènes (la première et la dernière notamment) témoignent brillamment de l'horreur vécue par les Juifs dans ces années-là (scènes obligatoires lorsque l'on touche à un tel sujet), le reste du film me semble excéder cette lecture que l'on pourrait qualifier d'édifiante.
Monsieur Klein est plutôt le film d'une déambulation, d'une aventure cauchemardesque assez comparable à celle vécue par le personnage principal du chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut, un quart de siècle plus tard. Les personnages se ressemblent assez : riches, beaux, sûrs d'eux, mais malgré tout impuissants face à des forces qui les dépassent et qui semblent au fond surgir d'eux-mêmes davantage que d'ailleurs. Monsieur Klein n'est pas le procès d'un personnage banalement antisémite et vénal, c'est le portrait d'un homme banal, dont la liberté se brise contre la machine administrative, la loi inique, dont il ne pourra jamais épouser la logique car bien que goy elles lui sont tout aussi opposées qu'à cet autre Robert Klein, qui est juif, et qui mourra dans les camps comme lui.
Je reverrai sûrement encore cette oeuvre unique, brillante et troublante, pour tenter de me l'approprier un peu plus.