Premier constat étrange : pour un film d'enquête, Mort sur le Nil met plus d'une heure à démarrer. Mieux vaut s'accrocher donc et ne pas avoir le mal de mer !
Deuxième constat paradoxal : pour un film d'enquête, cette partie apparaît comme la moins réussie. Vraiment dommage donc, au regard du postulat cinématographique certain de l'histoire (et par ailleurs l'un de mes Agatha Christie préférés).
Reconnaissons d'emblée à Kenneth Branagh sa capacité à retranscrire dans la première partie du film, par quelques séquences bien trouvées et de jolis mouvements de caméra, une moiteur et une atmosphère lourdes, prémices d'un drame que l'on sait inévitable. Même si l'exercice de style montrant des plans fixes soit du désert égyptien et de sa faune soit des fonds marins (coucou les poissons) finit, à terme, par lasser.
La partie enquête est donc elle, à mon sens, ratée. Le rythme s'emballe d'un coup trop rapidement (forcément, il reste environ une heure), Poirot mène ses interrogatoires en mode automatique et fait plus preuve d'un art divinatoire que d'un esprit de déduction (
cf. l'identification du lanceur de rocher au temple d'Abou Simbel
) - dernier point que je reprochais déjà au Daniel Craig enquêteur dans le film A Couteaux Tirés.
Ecrasé par l'importance que Branagh se donne à lui-même (c'est là le piège du réalisateur - interprète), seul(e)s Emma Mackey (par ailleurs sublime) et Armie Hammer disposent d'un temps d'écran et de dialogues conséquents (
forcément me direz-vous
). Le reste du casting n'existe pas ou très peu, et certains personnages soit sont transparents, à l'instar de Tom Bateman (j'avais d'ailleurs oublié qu'il jouait dans le précédent film), soit semblent clairement nager à contre-courant comme Letitia Wright (pourtant une bonne surprise dans Black Panther) et tous sont, globalement, peu attachants. Difficile dès lors de prendre du plaisir dans l'identification du ou des coupable(s) potentiel(s) pendant le film.
De même, la volonté d'humaniser Poirot et de lui donner de l'épaisseur tombe à l'eau, que ce soit dans ses relations amicales avec Bouc (pas crédible 30 secondes), amoureuses (no spoil) ou sur la révélation de l'origine de sa moustache. En mettant en avant ces éléments, le film se trompe selon moi de sujet , Poirot n'étant dans les oeuvres d'Agatha Christie qu'un ressort de l'histoire, et ne saurait être mis en lumière autrement que par ses capacités intellectuelles hors norme (c'est le fan tradi qui écrit).
Enfin, la volonté d'introduire de nouveaux éléments par rapport au roman d'origine (femmes noires, romance lesbienne) afin de "moderniser" le récit et de coller aux enjeux de notre époque est louable sur le principe. Sauf que Mort sur le Nil se déroule en 1937, période de l'histoire pas forcément reconnue pour son ouverture aux peuples étrangers, aux minorités et sa méritocratie. L'exercice tombe là encore à l'eau, et ces éléments donnent l'impression d'être uniquement "décoratifs", n'apportant rien à l'histoire et même finalement la desservant car la décrédibilisant.
Si un bon film tient notamment grâce à un scénario solide et une bonne maîtrise du rythme, Mort sur le Nil échoue dans cet exercice. Hormis quelques séquences de tension trop rares (et alors même que je n'adhère pas au Poirot sportif et combatif), le spectateur sommeille, bercé par les flots du bateau, comme après une phase de digestion post-déjeuner estival.
Se pose quand même une question : adapter des whodunit au cinéma est-il encore pertinent ? Ces romans policiers s'inscrivaient dans une certaine époque (généralement la première moitié du 20ème siècle), proposant une approche théâtrale et des personnages très stéréotypés représentatifs de leur époque (citons le général à la retraite, la dame de compagnie vieille fille ou encore l'héritier frivole en opposition avec son milieu d'origine) qui pourraient aujourd'hui paraître "datés" pour les plus nouvelles générations.
-> Oui, si l'on pense à la très bonne récente adaptation par la BBC de Ils étaient dix qui faisait preuve d'un absolu classicisme et se montrait par là même extrêmement respectueuse de l'oeuvre originale - ce qui en faisait sa force.
-> Non, si l'on regarde les 2 tentatives cinématographiques (et autant de demi-échecs) de Kenneth Branagh. Peut-être n'est-il tout simplement pas la personne idoine pour réaliser ET interpréter Hercule Poirot - et ne serait pas comme disent les Anglais "the right man in the right place".
PS : nul doute que les résultats du film au box office serviront d'indicateurs pour valider la mise en chantier d'un troisième volet - que personnellement je n’espère pas.
PS 2 : back to basics. Pour autant de plaisirs coupables, mieux vaut revoir certains épisodes de la série Hercule Poirot avec l'excellent David Suchet (qui avait bien mieux cerné la manière d'interpréter d'Hercule Poirot) ou relire certains des polars de la reine du crime :)