Finalement je me suis confronté à ce film de Darren ARONOFSKY, dont je disais récemment dans ma critique de The Whale (2022) du même cinéaste craindre qu'il ne soit celui dont le motif religieux du rapport à la punition et à la souffrance qu'il inflige systématiquement à ses personnages me fasse décrocher là où pour l'instant, presque malgré moi, sa filmographie parvient encore à susciter, sinon une fascination absolue, un grand intérêt et une source à laquelle m'abreuver pour étancher ma soif d'un cinéma de l'étrange.


Inutile de faire durer le suspens, malgré mes craintes quelques peu confirmées, j'ai contre toute attente, particulièrement été sensible et positivement séduit par ce film.


Craintes confirmées car non seulement une fois de plus Aronofsky maltraite ses personnages et une fois de plus avec cette lecture religieuse, mais tandis que jusqu'ici j'étais réservé quant à l'aspect rigoriste du mal comme châtiment divin sensé s'abattre sur des femmes ou des hommes coupables finalement que d'obsessions mortifères, ici il délivre un catéchisme et une évangile sous amphétamines, et des biens dosées, de celles qui vous crispent les mâchoires, ceux qui savent comprendront.


J'essaie en règle générale de ne pas dévoiler dans mes critiques des éléments qui révéleraient trop du film, afin de ne pas gâcher le plaisir de la découverte à ceux qui n'ont pas vu le film que je traite, mais là il va m'être difficile de ne pas baser mon argumentaire sans dévoiler beaucoup de choses, j'invite donc à partir d'ici, ceux qui ne l'ont pas vu et qui ne veulent aucune information à cesser la lecture de cette chronique.


C'est bon, nous sommes entre affranchis ? Alors c'est parti.


La bible écrite par un mec qui fait un bad trip. C'est littéralement cela que m'évoque ce film, ça commence de façon larvée, presque gentiment, on subit un "home invasion" mais ça reste encore gérable, l'ambiance danse entre un malsain palpable et ce petit truc qui tempère encore l'explosion qui déjà s'annonce.


Deux couples, le premier vit dans cette maison, lui est un créateur en panne d'inspiration suite à un drame survenu avant qu'il ne la rencontre elle. Elle depuis s'attache à reconstruire l'environnement qui lui permettra à lui de retrouver cette inspiration évanouie. Le second vient occuper cette maison, lui d'abord, qui malgré un physique assez impressionnant et qui en tout cas n'incite pas à la contradiction, se révélera finalement assez veule, souffreteux, manquant de franchise, louvoyant afin d'arriver à ses fins. Elle par contre s'affime très vite comme l'élément perturbateur, celle par qui la tentation et ses conséquences arrivent celle qui pousse à franchir les interdits. Lorsque leurs deux fils débarquent et qu'emporté par leurs colères le premier tue le second, c'est à la fois pour le spectateur la clef qui lui permet de comprendre la métaphore et qui sont en réalité ces gens, et à la fois le point de départ d'une série d'événements qui ne feront que redire la messe.


L'autre élément déclencheur est le retour de l'inspiration, le poète redevient un créateur, et de là sa création sera elle aussi le point de départ d'autres événements tout aussi violents que les autres.


Si ceux déclenchés par les "Adam et Eve" vont symboliser l'action divine, ceux déclenchés par la création vont symboliser le fanatisme religieux propre à l'humanité, les deux s'entrechoquant dans un cauchemar flamboyant qui se joue dans un lyrisme étincelant, nous sommes en tant que spectateur plongés dans cette spirale infernale entraînés tant par la succession d'images chocs, que par l'empathie que parvient à construire le film vis à vis de ce couple, et plus particulièrement vis à vis d'elle, tant l'attitude de l'homme soulève quelques questions, sur ses intentions notamment ou son implication.


Lorsque parait l'enfant, fruit d'amours entre ciel et terre, divinité et humanité et qu'on revoit la passion christique mais cette fois vue sous le prisme des souffrances maternelles, comme une condamnation olympienne absurde à devoir sans cesse répéter ses mêmes erreurs, retomber dans les mêmes pièges, le déluge comme conséquence directe d'une désobéissance en constituant l'un des actes les plus évidents, alors ne vaut que la destruction totale du monde crée. Seul survit au milieu du néant le créateur, dont on attend la prochaine étincelle qui du chaos insuflera vie et espérons le cette fois, sensibilité et raison.


Je me suis demandé, à la fin du générique, alors que je me remettais des uppercuts que m'ont assenés le film, si un tel engagement à martyriser cette femme, ne montrait pas chez Aronofsky, de la misogynie, mais en repensant à d'autres films où c'est la figure de l'homme qui est maltraitée, j'en arrive à la conclusion que ce cinéaste est misanthrope, qu'il y a quelque chose dans la nature humaine qui lui déplait profondément et qu'à travers ses martyrs de fictions il soulage en lui des pulsions de violences envers ses semblables. Quelque chose que je peux comprendre.

Créée

le 24 août 2023

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