Learning Love on the Mississippi

Mud, sur les rives du Mississippi nous plonge dans un récit initiatique dans lequel les différents affluents relationnels des fils vis-à-vis de leurs pères d'une part, et du rapport à l'amour d'autre part, sont explorés. Explications.

Avec trois seconds-rôles féminins clairement définis qui irriguent le propos - May Pearl, le fougueux et éphémère amour de jeunesse ; Mary Lee, la mère essoufflée de l'amour conjugal ; et Juniper, le conte de l'amour passionnel - Mud gravite autour d'une approche masculine des émotions et des sentiments.

L'omniprésence de la figure paternelle nous montre une large étendue de la relation complexe entre un père et son fils. Le père absent, le père orgueilleux envoyant ses fils à la mort, le père de famille désabusé (Galen, par l'excellent Michael Shannon, jouant un rôle similaire dans le tempétueux Take Shelter, réalisé également par Jeff Nichols), le père de substitution (Ellis choisissant Mud, interprété par un Matthew McConaughey une nouvelle fois épatant), le père protecteur (Sam Shepard endossant le rôle de Tom Blankenship).
Le rôle de pater semble en somme décortiqué avec soin et maîtrise. Il révèle d'une part la profondeur des personnages, et renvoie d'autre part à leurs manques affectifs, en déterminant rigoureusement les places et réactions de chacun. Les exemples de Mud, ou Ellis, illustrent cette idée. Mud, n'ayant pas connu son père, est dans un premier temps un vieil adolescent avant de prendre ses responsabilités d'adulte en secourant Ellis. Ellis (Tye Sheridan simplement remarquable) quant à lui voit en son père un homme terne et effacé, aux antagonismes du héros et modèle qu'il érige en la personne de Mud, le jeune garçon devenant à ses côtés un "apprenti". Dernier exemple, Galen qui va divorcer, ne croyant plus en l'amour, conseille à Ellis de se méfier des femmes, il parait d'abord en conflit avec son fils, puis évoluant au fil des épreuves, finit par lui glisser un "je t'aime".

L'histoire se compose, en ce point comme en d'autres, d'analogies flagrantes - et plaisantes - avec l'univers de Mark Twain et Les Aventures de Huckleberry Finn: l'absence de père, l'errance le long du Mississippi, le Vieux Jim se cachant sur une île également, l'esclave libéré ressemblant à Mud délivré de ses ennemis et d'un amour dévastateur, et caetera.

Le romantisme et la passion ensuite, symbolisé par l'histoire de Mud et Juniper (solide et convaincante prestation de Reese Witherspoon), le fugitif pouvant se targuer d'un "I've killed for Her". Son indéfectible croyance en l'amour se transmet à Ellis, connaissant son premier amour, et établit un parallèle avec la passion tourmentée de Mud et Juniper, qui se sont connus au même âge de l'insouciance. Ellis est ainsi balancé entre un idéal sentimental émanant de Mud et un pessimisme accouplé à une méfiance de la gente féminine véhiculée par son père biologique Galen. La retrouvaille inopinée de Juniper nourrit progressivement cet idéal d'amour fusionnel dans l'esprit d'Ellis, le poussant à braver tous les danger pour Mud.

Autre affluent relationnel visité, l'amitié d'hommes. Elle se rend surtout perceptible par la complicité entre Ellis et Neckbone, Mud et Tom. Enfin, il est aussi question d'amour de la nature: Ellis ne veut pour rien au monde quitter sa maison ancrée sur les berges du fleuve, l'île-refuge se rapproche de l'écrin de tranquillité et d'innocence de l'enfance, c'est là que règnent les cabanes, les planques, le bateau dans les arbres, les rêves et les espérances. Jeff Nichols nous offre de superbes plans sauvages du Grand Fleuve, notamment avec la séquence finale affichant un magnifique panorama du delta du Mississippi.

En définitive, Mud nous propose une séduisante dualité du sauvage et de l'humain, fixée entre nature brute et nature humaine, une dualité aussi du père et du fils, zigzaguant entre heurts et tendresses, le tout en symbiose dans le périlleux mais fabuleux apprentissage de l'amour.