Comment mettre moins de 10 à ce film qui, pour moi, a tout de l'oeuvre parfaite ?


My sweet pepper land, c'est ce presque western non dénué d'humour, cette romance sensuelle et douce, cette charge politique acerbe contre le régime tyrannique des mollahs, un film qui réussit à contourner tous les écueils, à éviter les raccourcis et les clichés, le tout servi dans un cadre majestueux et porté par une bande-originale du meilleur acabit.


Et puis : il y a Golshifteh Farahani. Sa simple présence, même muette, même pas dans la séduction, suffit à crever l'écran de sa beauté et de son charisme. Mais la franco-iranienne n'a pas que son physique dévastateur pour elle : elle possède également un talent dramatique extraordinaire assorti d'une justesse de jeu rare, entre douceur et rébellion, qui m'ont littéralement hypnotisée.


Elle incarne dans ce film la belle Govend, une institutrice bien seule dans un monde de mâles abrutis, qui tente tant bien que mal de mener à bien sa vocation - son sacerdoce - dans un village tyrannisé par le seigneur auto-proclamé, Aziz Aga. Le vieil homme fait régner la terreur à l'aide de ses sbires lourdement armés pour qui toute femme est par défaut, une pute ou une salope. Mais l'arrivée du nouveau commandant Baran, un juste pour qui la morale et l'honneur ont un sens véritable, va rapidement bouleverser les rapports de force.


Le sous-texte politique de My sweet pepper land est virulent et, même s'il n'hésite pas à traiter certaines questions sur le ton de la comédie, on comprend bien que le réalisateur irakien (d'origine kurde) cherche à dénoncer le patriarcat et la violence omniprésentes dans la région. Tribunal kafkaïen, expéditions punitives basées sur rien, unique bar où les hommes se défient du regard, frères désireux de laver leur honneur prétendument souillé par leur soeur indocile : le propos n'est pas si éloigné de celui de Mustang, si on réfléchit bien.


Le film s'approprie intelligemment les codes et l'esthétique du western : hommes à cheval et chapeautés, maisons poussiéreuses, fusils et pistolets prêts à être dégainés à chaque instant, jalousies autour d'une femme, musique aux accents morriconiens du plus bel effet : voilà pour l'ambiance.


Pourtant, My sweet pepper land, comme semble l'indiquer son titre à la fois doux et piquant, est avant tout une merveilleuse histoire d'amour, pleine de pudeur et de sensibilité, servie par une photographie qui magnifie les personnages et donne à chaque mouvement, à chaque regard, une intensité dramatique incroyable dont la délicatesse m'a même rappelé In the mood for love. Il faut voir Baran chanter quelques vers à sa belle, les yeux dans les yeux, dans l'intimité de la nuit à peine éclairée: une scène poétique et sensuelle que j'ai trouvée renversante.


Et puis il y a ce moment où la jeune femme joue du hang en pleine nature, ce bizarre instrument aux sonorités si fluides, douces et presque liquides, la mélancolie et la grâce qui se dégagent de cet instant - sous le regard amoureux, au loin, de Baran - ne peuvent qu'émouvoir au plus haut point.


C'est aussi de liberté que parle ce film, liberté d'exercer le métier que l'on souhaite, d'aimer qui l'on veut, de vivre selon ses propres lois : il nous rappelle que, dans certaines régions de ce monde, les droits les plus basiques sont refusés aux femmes, qui vivent sous un insupportable joug masculin et ne peuvent que compter sur leur courage et leur obstination pour tenter de renverser la donne, au péril de leur vie. Govend qui tient tête à ses frères qui veulent la marier, qui leur tend le miroir de leur violence, fait un geste politique fort : My sweet pepper land est à la fois un film engagé et féministe.


Et pourtant, comme l'amour pourrait s'épanouir dans cette verte vallée où courent les chevaux, où cheminent les enfants, cartable sur le dos : les plans bucoliques et silencieux nous rappellent que tout est là, à portée du regard : un paysage serein qui n'a que faire de la furieuse folie des hommes.


Somptueux.

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le 2 mars 2017

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