Venise, je suis toujours plus indulgent avec la Cité des Doges qui a sur mon esprit une emprise romanesque à nulle autre égale.
La marque de Kenneth Branagh est là, toujours: le Hercule à la barbichette et aux moustaches plus négligé que celles de Suchet, Finney ou encore Ustinov, qui, suivant la foule - triste métier selon Musset ! - et la mode - en mouton de Panurge rabelaisien - , s'efforce à surcharger d'épaisseur psychologique un personnage déjà si riche en soi qu'il en devient un pot-pourri de lui-même et de Sherlock Holmes.
Mais le wokisme se tait ici, laissant place à une ambiance de film d'épouvante bienvenue qui irrigue le Poirot jusqu'ici exsangue et politique de son réalisateur et rôle-titre. Branagh interprète bien mieux cette fois le détective belge et le plonge dans une adaptation du méconnu Crime d'Halloween, s'écartant des chemins battus pour assumer enfin ses licences cinématographiques et les libertés d'adaptation qu'il s'offre. Et cela donne un certain lustre inédit à l'ensemble.
Exit le palace à vapeur sur roue ou à vapeur volontairement démesuré pour un lieu plus intimiste dans une Venise aux prises avec une tempête propice aux peurs les plus primaires. L'occasion de confronter Hercule Poirot à ce qui échappe à ses "petites cellules grises" (toujours appelées "méthodes", "listes" plus holmésiennes que poirotiennes): le surnaturel !
Film d'Halloween pour un roman se déroulant à Halloween, il perce plus pour son ambiance que pour son excellence qui se situe sous l'excellente adaptation, tout aussi libre sinon plus, des Petits Meurtres d'Agatha Christie.
Venise nocturne et tempétueuse, emprunte de screamers, de scare jumps, de jeux d'ombres, faisant valser un excellent casting d'exception comme se doit toute adaptation d'une aventure d'Hercule Poirot au cinéma: hormis Branagh, cette fois, Michelle Yeoh, l'ex-Wai Lin de Demain ne meurt jamais et l'actuelle lauréate de l'oscar de la meilleure actrice pour Everything everywhere All at Once, dans le rôle bref mais intense d'une médium et sa suite: Jaimie Dornan, ex-Christian Grey et actuel antagoniste d'Heart of Stone, Camille Cottin ex-Conasse princesse des coeurs et actuelle comparse des pubs de Nespresso de George Clooney, Kelly Reilly, ex-Mary Morstan du diptyque Sherlock Holmes de Guy Ritchie ou encore Tina Fey, connue principalement pour le film Crazy Night et ses nombreux doublages de dessins animés en version anglophone.
Venise nocturne et pluvieuse, de déguisements et de frayeurs qui s'offre le luxe d'un clair-obscur entre matérialisme aveugle et magique translucide, jusqu'à son habile final en une chute mi newtonienne mi spectrale du coupable. Un clair-obscur qui eût gagné en beauté et en génie par un cross-over impromptu entre deux héros de la Reine du Polar: Hercule Poirot qui aurait donner corps au terre-à-terre et le mystérieux Mr Queen qui aurait incarné le surnaturel, puisqu'il est, entre les lignes, un fantôme.
Venise somptueuse et sa maison ancienne, pleine de livres dont un d'Edgar Poe, Venise des éternels carnavals et Venise prise dans une belle partition musicale, voilà ce qui restera le plus de ce nouveau Poirot signé Branagh, cru plus humble, plus assumé dans sa liberté d'adaptation, plus universel en délaissant le politique, part meilleur cru que les deux précédents.