Mysterious Skin par Kaneda
Mysterious Skin relève de cette rareté, un cinéma à sujet qui ne verse jamais dans le cinéma dossier. Stylé, romanesque, le film de Gregg Araki est empreint d'une délicatesse et d'une maturité inédites chez l'auteur de The Doom Generation et Nowhere. Son territoire reste pourtant inchangé : l'adolescence et ses abîmes.
A l'amnésie pathogène de Brian le montage confronte la mémoire transparente de Neil. Plus précisément, sa nostalgie d'une relation sexuelle et amoureuse entretenue, quand il avait 8 ans, avec son entraîneur de base-ball, un blond moustachu digne d'une couverture de Playgirl. Gregg Araki affecte à cette évocation le plus fort coefficient de trouble possible. Les faits sont irréfutables, montrés sans ambages, mais l'effroi qu'ils inspirent rencontre un courant contraire : la subjectivité de Neil, le goût de paradis perdu qui imprègne ses souvenirs reconstruits, quasi féeriques, et que la réalisation reflète, en toute empathie pour lui. Film funambule, on l'aura compris, Mysterious Skin ne tombe jamais du mauvais côté, ni même dans l'ambiguïté ou le flou.
Araki sait ce qu'il filme, et de quel point de vue. Y compris lorsqu'une partie de l'action se déplace à New York, où Neil passe à la vitesse supérieure du tapinage. Le sentiment de perdition est bien là, omniprésent, mais pas le dégoût de l'humanité. La tendresse et la compassion restent possibles, du garçon à ses clients, de même qu'elles ne font jamais défaut au cinéaste. Entre Neil et Brian, quelques personnages secondaires, tous finement écrits et joués, des figures chaleureuses de mère, d'ami homo, d'amie hétéro... Autant de témoins bienveillants et néanmoins impuissants.
Le mouvement du récit semble psychanalytique : il s'agit pour Brian de mettre au jour le traumatisme qui l'empêche de vivre. Pour cela, il lui faut retrouver la trace de Neil. Mais le freudisme du film n'a rien d'hollywoodien : savoir, ce n'est pas forcément guérir. Et c'est ainsi qu'aux qualités déjà citées de Mysterious Skin, à son éclat mélancolique et à sa douceur s'ajoute, en dernier lieu, une terrible lucidité.