"Nous sommmes ensemble jusqu'à l'aube. Il est 2h17 à Memphis, Tennessee."
Mystery Train, ou trois actions simultanées montrées successivement. Cela peut paraître peu, mais c'est tout. Plus le spectateur avance dans le visionnage, plus il saisit les nuances que lui apporte un autre point de vue. Mystery Train, ou comment neuf vies peuvent évoluer parallèlement, puis se croiser -imperceptiblement ou non- pour ensuite revenir à leur éloignement d'origine.
Soulignons surtout, et avant toute autre chose, la beauté des images et des plans, qui tout en restant simples et neutres sont stupéfiants d'éclat. On est là devant un film de grande qualité, on le comprend sans peine, rien qu'à voir cette première scène dans le train où ces deux japonais se font face tout en partageant l'écoute d'un même morceau.
D'ailleurs (et de façon tout à fait subjective), c'est la première partie qui remporte le prix du charme et de l'esthétique. Ce couple de contraires est merveilleusement bien filmé, tous deux blottis et entourés par le cadre de la caméra. Lui, l'hermétisme même, inexpressif au possible, le visage fermé que rien ni personne ne viendra dérider. Elle, souriante, drôle à souhait, sophistiquée tout en étant naturelle. Le regard du cinéaste les lie, les met en valeur à merveille et donne à leur quotidien une puissance monstrueuse. Leurs dialogues, rarissimes, écourtés au maximum, sont d'une belle sobriété et d'une grâce fragile. Leur histoire nous offre de délicieux moments, comme celui où la jeune femme comparera Elvis avec toutes sortes de célébrité, d'une naïveté exquise qui nous donne instantanément le sourire aux lèvres.
Mystery train nous offre à voir trois histoires (quatre si l'on compte celle des deux recéptionnistes, témoins de tout, étant donné qu'ils sont les seuls à avoir rencontré tout le monde). Nous entendrons également trois fois la même émission de radio, trois fois les mêmes gémissements, trois fois le même coup de feu, etc... Nous verrons trois fois le même hall d'accueil, trois fois ces deux hommes qui s'ennuient derrière leur comptoir, trois fois le même portrait d'Elvis, etc... Seulement jamais réentendre les mots du présentateur -ou autres bruits- ne nous lassera, jamais revoir le même tableau ou les même situations ne nous lassera. Nous changeons "de vie", et les vies que nous laissons derrière nous ne seront qu'un souvenir, créant une vague impression de déjà vu qui, en fait, pourrait plus justement être référencée dans le domaine de l'écho.
Une belle expérience, une journée à vivre sous tant d'angles différents, à revivre même, et ce sans s'en lasser. Une petite splendeur, un instant de cinéma qui nous interpelle, une mission accomplie pour Jim Jarmusch, qui nous emmène en fait bien au-delà de Memphis.